devant que les chandelles soient allumées. Par malheur, nous ne sommes point ici en Angleterre, et M. Lumley fera bien d’y songer. Il n’importe, donnons une larme à ce pauvre Ronconi, occupé en ce moment à rétablir à Madrid sa fortune si lamentablement délabrée par deux années d’une gestion désastreuse, et passons.
Mme Sontag dans la Sonnanbula, dans la Figlia del Regimento, dans le Barbiere, Mme Sontag partout et toujours, c’est à la fois trop et pas assez. Certes, l’organe de l’aimable cantatrice a conservé d’incroyables facultés de vocalisation ; à sa fraîcheur délicate et flexible, à son ramage étincelant, on dirait cette voix aux plus beaux jours de sa jeunesse, et c’est justement à cause de cette sonorité presque surnaturelle, de cette grace exquise, qu’il convient de la ménager davantage. Sur cette nature d’artiste, pendant plus de vingt ans exilée de la scène, le retour à sa vie première, à son existence de prédilection, a produit un épanouissement instantané. C’est comme un arbuste qui reverdirait à un soleil d’automne ; mais gare le givre et la gelée, si vous ne vous y prenez à temps pour le rentrer en serre. Or, la serre que je voudrais pour cette fleur retardataire de l’élégance et du talent, ce serait tout simplement un régime moins laborieux et moins excessif, une responsabilité moins tendue. Tenir tête à toutes les nécessités d’un répertoire n’a jamais été d’ailleurs la vocation de Mme Sontag, qui, aux meilleurs jours de sa carrière dramatique, partageait, on s’en souvient, l’empire avec la Malibran. La produire avec réserve et discrétion, plus encore peut-être comme une curiosité musicale réservée aux appréciations délicates que comme une de ces cantatrices vigoureuses sur lesquelles on compte pour la fortune de la saison, serait d’une administration habile et prévoyante ; mais cette cantatrice qui manque, où la trouver ? Avec la Grisi, on est brouillé jusqu’à l’irréconciliable, et la Frezzolini chante à Madrid au théâtre de l’Orient. En attendant, Mme Sontag regagne le temps perdu, et dépense chaque soir en trilles merveilleux, en incomparables arabesques cette voix d’ambassadrice si long-temps réduite, hélas ! à ne chanter que pour le roi de Prusse. Combien ce feu d’artifice durera ? je ne sais ; mais c’est charmant, non que vous ne trouviez çà et là, dans cette habitude de chanter sotto voce, dans ce continuel besoin de varier le motif, des façons et des tours qui ne sont plus trop de notre temps. L’art du chant, comme toutes les choses de ce monde, se transforme d’une période à une autre ; qu’il ait gagné ou perdu, là n’est point la question ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il a modifié ses conditions. Les vingt années pendant lesquelles Mme Sontag a vécu loin de la scène, elle les a passées en Allemagne, à Berlin, c’est-à-dire en dehors du mouvement qui se faisait en Italie et aussi un peu en France. De là ces allures rossiniennes dont la tradition semblait perdue, de là ces éternelles roulades, ces cadences, ces trilles dont le public avait désappris l’usage, de là enfin un certain rococo qui, dans sa physionomie, ne messied pas. Aussi est-ce à la Figlia del Regimento de Donizetti que Mme Sontag, depuis sa rentrée, a dû son plus beau triomphe à Ventadour, et cela s’explique par deux raisons bien simples : la première, que la Figlia del Regimento est un opéra entièrement écrit dans le style de Rossini ; la seconde, que Mme Sontag a pu suivre et étudier à Berlin Jenny Lind dans ce rôle, l’un des plus fameux du répertoire de la cantatrice suédoise. Pour se faire une idée de la transformation que peut exercer sur une œuvre