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chef-d’œuvre, trente-deux ans pour un opéra, trois siècles ! et cependant quelle verve intarissable, quel irrésistible entrain, quelle étincelante nouveauté ! Cela sourit, cause, jase, pétille, chante toujours ! c’est comme une bouteille de vin de Champagne qu’on débouche pour la première fois, et dont la mousse enivrante vous monte au cerveau en perles sonores, en bouffées de gaz mélodieux. On sent qu’un pareil opéra était fait pour accomplir une révolution dans la musique de son temps, et que toute une école du passé devait disparaître à sa venue. Paisiello, qui avait écrit sur ce même sujet une partition recommandable, ne s’y trompa point. « Si le Barbier de Rossini réussit, disait-il, je suis perdu ; s’il tombe, ce qu’après tout je me plais à supposer, l’astre de ma vieillesse en va rayonner d’un plus vif éclat. » Cette lutte entre le jeune représentant du siècle nouveau et l’esprit d’un âge désormais révolu, l’auteur de Nina et de l’Olympiade n’eut pas le temps d’en connaître l’issue : Paisiello mourut le 5 juin 1816, et ce ne fut que trois mois plus tard que l’opéra de Rossini prit carrière sur le théâtre Argentina à Rome. L’affaire fut vigoureusement débattue, comme on pense ; les anciens tenaient pour Paisiello, les jeunes pour Rossini. Ceux-ci ne voulaient entendre parler que du passé, ceux-là saluaient avec acclamation le soleil levant. Lutte à outrance, lutte à mort entre les deux factions et dans laquelle Paris devait intervenir au dénoûment. Heureux jours que ceux où Paris se passionnait pour des questions de ce genre ; désormais, hélas ! d’autres intérêts l’occupent, et c’est presque un événement qu’une de ces soirées où le public prend goût à l’opéra qu’on lui chante et s’y laisse aller sans arrière-pensée. Par ces temps d’indifférence et de suprême désuétude, remplir la salle Ventadour de gens qui s’amusent à écouter tout simplement de la musique, et mieux encore, qui applaudissent, il n’y a qu’un chef-d’œuvre de Rossini pour faire de tels prodiges : il est vrai que Mme Sontag et Lablache sont de la partie. On connaît Lablache dans Bartholo, son aplomb de chanteur et de comédien, sa verve bouffe, parfois un peu extravagante, mais de si bon aloi, cette voix énorme et corpulente, qui, trop incomplète désormais pour la haute expression dramatique, trouve encore dans ses rôles de mezzo carattere d’inimitables effets de puissance drolatique. Quant à Mme Sontag, qui ne sait d’avance que cette partie de Rosina convient à toutes les habitudes de sa voix flexible, à toutes les coquetteries, j’allais dire à toutes les mignardises de son chant ? Je reprochais plus haut à Mme Sontag ce besoin de variations dont elle semble être possédée. Dans le Barbiere, ce goût dégénère véritablement en manie. Non contente de varier sans cesse ni répit toutes les cavatines, tous les motifs de la partition qui lui passent par le gosier, il lui faut encore au second acte les variations de Rode, les célèbres variations de Rode (pour employer le langage de l’affiche), et ce sont alors des fusées à perte de vue, d’intarissables cascades de notes emperlées qui, en témoignant d’une agilité surprenante dans le mécanisme de la voix, ont le grave tort de dénoter chez la cantatrice un amour trop prononcé pour un style rétrospectif dont le public des Bouffes semble avoir perdu le sentiment. Quand on chante comme Mme Sontag, il est au moins inutile de prendre une heure par soirée pour prouver aux gens en toute sorte d’exercices excentriques qu’on pourrait au besoin faire échec à un bengali. — Je parlais des célèbres variations de Rode. Aimez-vous les célébrités ? L’affiche du Théâtre-Italien en a mis partout. Il y a là le célèbre signor Ferranti, le célèbre signor Calzolari, le célèbre si-