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attribuée aux jésuites sur le régicide ; mais devinez d’où lui vient ce sang-froid si impartial ? Il vaut mieux qu’il parle lui-même et montre en son langage comment le poison radical se retrouve tout d’un coup dans toute sa virulence au milieu même du plus insupportable fatras : « Mes enfans, pourquoi ne l’avouerai-je pas ? cette doctrine des Mariana, des Suarez, me paraîtrait assez raisonnable, s’ils l’appliquaient généralement. L’extermination des rois serait un bienfait pour les peuples. Aussi, quand le poignard des jésuites frappera quelque tête royale, n’attendez de ma part ni un cri d’indignation ni une parole de blâme. — Spectateur indifférent, je regarderai la victime sans maudire l’assassin. »

La situation de l’Allemagne est devenue moins violente depuis quinze jours, sans être cependant encore beaucoup moins obscure. Les menaces de guerre, subitement arrêtées par l’entrevue de M. de Schwarzenberg et de M. de Manteuffel à Olmütz, ont maintenant presque disparu, et, à moins de ces reviremens bizarres qui sont malheureusement trop fréquens dans la direction des affaires germaniques, il n’est pas probable que des complications nouvelles viennent entraver ou empêcher la paix. En acceptant les préliminaires d’Olmütz, le roi Frédéric-Guillaume devait s’attendre à se voir bientôt forcé de dissoudre ou de proroger les chambres, trop vivement émues des sacrifices imposés à l’orgueil national de la Prusse pour garder dans leurs délibérations toute la mesure que prescrivaient impérieusement des circonstances si délicates. Le parlement prussien a été prorogé jusqu’au mois de janvier, et il faut souhaiter que le résultat des conférences indiquées à Dresde soit alors assez satisfaisant pour ne point pousser les chambres à des extrémités qui, tout en étant plus qu’inutiles, achèveraient de compromettre ou même de tuer tout-à-fait le régime représentatif en Allemagne. La diplomatie espère qu’elle trouvera de meilleurs moyens d’accommodement, maintenant que les sujets de querelle ne seront plus aigris par les inévitables violences de la tribune. C’est toujours un triste spectacle que cette impuissance constatée d’institutions qui auraient dû être fortes, et que leur mauvaise conduite ou leur mauvais destin rend de plus en plus incapables, soit de conserver la charge des intérêts dont elles avaient le dépôt, soit de se défendre elles-mêmes.

C’en est fait dorénavant des derniers songes de ce patriotisme, à la fois si vague et si obstiné, qui depuis trois ans n’avait cessé de rêver une Allemagne nouvelle à la place de l’ancienne. Il faut seulement repasser l’une après l’autre les vicissitudes qu’a subies cette ambition incessamment trompée pour deviner quels déboires ceux qui avaient mis là tout leur cœur ont dû jour par jour essuyer. En présence de cette longue série d’alternatives contradictoires où les joies d’un triomphe éphémère étaient si tôt effacés par les amertumes de quelque humiliation nouvelle, on comprend l’âpre chagrin qui a fini par dominer les représentans de la nation prussienne, intéressée plus qu’aucune autre à la solution du problème. On comprend cette sourde passion qui gronde chez tous et les a faits intraitables. Au sommet du pouvoir, la place est encore plus dure, à qui l’occupe que sur les bancs des chambres. Le vertige est dans ces hautes régions : on a si souvent reculé devant la fortune quand elle venait d’elle-même ; on s’est si fort obstiné à la poursuivre quand elle fuyait ! On est las à présent et recru. On essaie tristement de se consoler en disant, en laissant