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par tant d’œuvres éclatantes ? Pour répondre à cette question, il faut étudier avec un soin attentif tous les morceaux acquis par MM. Reiset et Villot. Or, entre ces morceaux, il en est trois qui, par leur importance, méritent une analyse spéciale. Cependant, je dois le dire avec une entière franchise, la somme donnée pour chacun de ces trois morceaux est loin de s’accorder avec la beauté qu’un œil exercé peut y découvrir. Ce que je dis s’applique à la Vierge du Pérugin, au Portrait de Rubens, à l’Évanouissement de la Vierge de Raphaël. Assurément, et j’aurais mauvaise grace à ne pas le reconnaître, aucune de ces œuvres ne peut déparer la plus riche galerie. Toutefois, si l’on compare le prix donné à la valeur intrinsèque des œuvres, on a le droit de s’étonner. Le portrait du baron de Vicq, par Rubens, qui est, pour tous les yeux exercés, un morceau capital, figure dans le compte de MM. Reiset et Villot pour 12,000 fr. ; l’Évanouissement de la Vierge, dessin à la plume, pour 14,000 fr., et la Vierge du Pérugin pour 54,000 fr. Était-il vraiment utile de dépenser 54,000 fr. pour acquérir un Pérugin ? Il est au moins permis d’en douter. Le tableau de ce maître acheté par à MM. Reiset et Villot peut-il être accepté comme la représentation d’une somme aussi considérable ? Je ne le crois pas.

Je sais bien qu’il y a en France comme en Allemagne, comme en Angleterre, comme en Italie, un grand nombre d’esprits qui prétendent posséder la vraie notion de l’art et qui préfèrent résolument le Pérugin au plus illustre de ses élèves, à Raphaël. Je sais que, pour ces esprits qui s’attribuent la pleine intelligence du sentiment religieux et de l’expression qu’il peut recevoir dans la peinture, les madones du Pérugin sont plus pures, plus recueillies, plus belles que la Madone à la chaise du palais Pitti, que la madone achetée, en 1518, par François Ier ; mais une pareille opinion ne soutient pas l’examen. C’est un engouement puéril qui ne mérite pas plus de respect que la passion d’une jeune fille pour une dentelle ou un ruban. Le Pérugin doit la meilleure partie de sa gloire aux œuvres de Raphaël, comme Domenico Ghirlandajo aux œuvres de Michel-Ange ; si Raphaël et Michel-Ange ne tenaient pas dans l’histoire de l’art une place si considérable, le Pérugin et Ghirlandajo jouiraient d’une popularité très modeste. Il y a deux manières d’estimer la valeur du Pérugin on peut l’envisager au point de vue de l’expression, au point de vue de la science. Si l’on veut chercher dans le Pérugin le sentiment religieux, il est impossible de ne pas reconnaître que Giotto et fra Angelico donnent à la foi chrétienne plus d’éloquence, plus de ferveur que le Pérugin. Veut-on chercher en lui la science ? A moins de fermer ses yeux à l’évidence, à moins d’oublier la forme vraie de la personne humaine, comment ne pas avouer qu’un intervalle immense sépare le Pérugin de Raphaël ? Oui, sans doute, le Pérugin en savait plus que Giotto, plus que fra Angelico ; c’est une vérité qui n’a pas besoin d’être démontrée : il n’est pas moins vrai, moins évident que Raphaël en savait infiniment plus que son maître. Quant à l’expression du sentiment religieux, le Pérugin, à mon avis, ne soutient pas mieux la comparaison avec Raphaël qu’avec Giotto. Je ne veux pas prendre au sérieux l’opinion proclamée à son de trompe il y a quelque vingt ans par les peintres néo chrétiens ; je ne veux pas perdre mon temps à réfuter les accusations de paganisme portées contre Raphaël ; ces accusations, qui ont pu obtenir quelque crédit parmi les personnes étrangères à l’histoire de la peinture, ne méritent