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l’ensemble de ses œuvres ne présente pas ce caractère. Rubens possédait une érudition prodigieuse, et son érudition n’a rien ôté à la spontanéité, à l’originalité de son génie. Si les tableaux de Rubens sont d’une couleur aussi riche, aussi éclatante que les tableaux de Titien et de Paul Véronèse, il n’est pas permis de voir dans Rubens un disciple exclusif de l’école vénitienne. La Descente de Croix placée dans la cathédrale d’Anvers ne procède ni de Titien ni de Paul Véronèse, et le Portrait du baron de Vïcq ne rappelle pas la manière de ces deux maîtres illustres : c’est une peinture aussi belle, mais c’est un autre genre de beauté. Les adorateurs fervens de l’école romaine, qui ne voient pas de salut hors des chambres du Vatican, pourront trouver que dans ce beau portrait les détails sont trop multipliés, que les rides du front et celles des paupières sont copiées avec une fidélité trop scrupuleuse : quant à moi, je ne saurais me ranger à leur avis. Je comprends très bien que l’école romaine voie et rende autrement le modèle humain ; mais je ne crois pas que les peintres soient obligés de suivre exclusivement les leçons de l’école romaine. J’admets volontiers que, dans une composition historique, il est bon de négliger plusieurs parties de la réalité, de simplifier ce que l’œil aperçoit : mais je pense que, dans un portrait, il est bon de transcrire la réalité tout entière. D’ailleurs, sous un pinceau vraiment habile, la réalité ne manque jamais de s’agrandir. Il n’est pas douteux pour moi que le Portrait du baron de Vicq ne soit tout à la fois très ressemblant et très supérieur au modèle. Rubens a tout copié, mais il a tout embelli. Et puis, si l’on prend la peine de regarder attentivement le portrait, on verra que les détails, quoique très nombreux, n’ont rien de minutieux, rien de puéril. Ils sont tellement subordonnés à l’effet général que le spectateur ne les aperçoit pas sur-le-champ. La première impression est une impression d’étonnement et de joie : l’œil se plaît à contempler cette physionomie intelligente et mâle. Ce n’est qu’après avoir admiré la vie qui anime cette toile que le spectateur éprouve le besoin de voir de plus près comment est fait ce qu’il admire. Alors, mais alors seulement, les détails se révèlent. Quant à la manière dont ils sont copiés, bien habile serait celui qui la devinerait. Les procédés employés par Rubens sont déguisés si ingénieusement qu’ils semblent dérobés à la nature même.

Ainsi, malgré les nombreux détails que le peintre s’est plu à reproduire, ce portrait est plein de grandeur. Nous avons vu en France, en Angleterre, en Allemagne, plus d’un peintre multiplier les détails et dresser le procès-verbal de ce qu’il voyait avec la ponctualité d’un greffier. Cette fidélité littérale n’a rien à démêler avec la fidélité vivante. Que ceux qui ne sont pas encore parvenus à se former une idée nette de la vérité en peinture regardent le Portrait du baron de Vicq, ils comprendront enfin que, pour être vrai, il ne s’agit pas seulement de tout copier, mais de laisser à tous les élémens de la réalité l’importance qui leur appartient : c’est à cette condition que l’exactitude n’a rien de puéril.

Parmi les dessins acquis par M. Reiset, un seul se recommande par une véritable importance : l’Évanouissement de la Vierge, de Raphaël. C’est probablement la première esquisse du tableau placé dans la galerie Borghèse, et si justement admiré. Ce tableau appartient à la seconde manière de Raphaël et en marque la fin. Il a dû être exécuté dans les premiers mois du séjour de Raphaël à Rome. Au lieu de rappeler la manière du Pérugin comme le Mariage de la Vierge, placé dans la galerie de Brera, il porte la trace visible des enseigne-