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se place une école qui relève de la seule tradition et traite M. David avec un dédain superbe. Pour les disciples de cette école, qui se dit classique, M. David, malgré tout son talent, n’est qu’un profane ou plutôt qu’un sacrilège. Il gaspille le marbre et le bronze, et les modèles qui naissent sous son ébauchoir ne méritent pas de durer. Cette école ne voit pas de salut hors de la tradition et fulmine l’excommunication, sans hésiter, contre ceux qui prétendent prendre la nature pour point de départ. Et pourtant, malgré les hymnes qu’elle entonne en l’honneur de la tradition, malgré le dédain fastueux qu’elle affiche pour la réalité, elle ne connaît pas la vraie tradition, elle ne sait pas à quel moment de l’histoire il faut la prendre pour trouver en elle un guide fidèle et sûr. Elle confond avec une obstination qui tient du prodige la tradition grecque et la tradition romaine, et ne semble pas comprendre l’immense intervalle qui sépare la première de la seconde. Elle met sur la même ligne le Germanicus et l’Hercule au repos, et, pour être sincère, je dois ajouter qu’elle préfère volontiers le premier au second. L’admirable fragment conservé dans une salle du Vatican, que Michel-Ange aveugle se plaisait à palper, ne lui paraît pas aussi correct, aussi pur que le Germanicus. Pourtant elle parle toujours de la tradition, qu’elle ignore, avec une emphase qui séduit la foule. Elle ne modèle pas une figure, elle ne choisit pas un mouvement sans invoquer un précédent. À l’entendre, il n’y a pas, dans ses œuvres, un détail, si minime qu’il soit, qui ne puisse invoquer une autorité imposante. C’est une illusion qui dure depuis long-temps, et qui ne paraît pas près de se dissiper.

Franchissons la tradition romaine, remontons jusqu’à la tradition grecque, et nous verrons se combler comme par enchantement l’abîme qui sépare la réalité que tous les yeux aperçoivent de la beauté dont la perception n’est accordée qu’aux intelligences privilégiées. L’art grec en effet, malgré son caractère idéal, qui lui assigne le premier rang dans l’histoire, touche à la nature même par son extrême simplicité. Pour reprendre et continuer son œuvre, il faut consulter tour à tour les modèles que la nature a placés devant nos yeux et les monumens qu’il nous a laissés. Jusqu’ici, M. David n’a compris que la moitié de cette tâche ; mais il l’a poursuivie avec tant de persévérance, il a trouvé dans la réalité, en négligeant la tradition, tant d’œuvres éclatantes et variées, qu’il semble défier nos reproches. Cependant sa renommée ne m’aveugle pas, et j’engage les statuaires à consulter tour à tour la tradition et la nature.


GUSTAVE PLANCHE.