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en Afrique sous le commandement ou en présence des fils du roi. Ces faits militaires étaient retracés dans des médaillons supportés par de grandes Renommées. Les cartons furent soumis au roi. « Je vous remercie, dit-il, d’avoir choisi mon règne comme objet de vos travaux ; mais je ne saurais admettre la manière dont vous l’avez caractérisé. Les victoires d’Afrique appartiennent moins à ma propre gloire qu’à celle de mes fils et de l’armée. D’ailleurs, vos Renommées sont trop grandes : quelle serait donc la taille de celles que vous destineriez à Marengo, à Austerlitz ou à Wagram ? Restons ce que nous sommes, nous n’en serons pas plus petits. Du côté de Napoléon, l’éclat des victoires et la grandeur des conquêtes ; du mien, les douceurs de la paix et les bienfaits de la liberté. Représentez l’industrie et l’agriculture protégées, les monumens achevés et restaurés, d’immenses travaux publics entrepris, les sciences et les arts encouragés ; placez en face de la Paix se reposant sur l’épée de la France la Loi dominant toutes les situations, même la mienne, et j’ose espérer que la postérité reconnaîtra les principaux caractères de mon règne. » Obéissant désormais au nouveau programme, les deux peintres exécutèrent d’autres cartons, et la pensée de Louis-Philippe a été depuis magnifiquement réalisée par l’industrie des Gobelins.

On sait que des esprits ombrageux ont signalé la création du musée de Versailles comme une témérité grosse de dangers pour l’avenir. Cette glorification éclatante des armées de la république et du génie de Napoléon leur paraissait un aliment nouveau pour les passions qu’ont laissées après eux la république et l’empire. Depuis lors, ils ont cru voir la justification de leurs craintes dans le triomphe de la faction républicaine au 24 février, et plus tard dans la renaissance du bonapartisme, se réveillant au bruit de nos discordes civiles. Il y a là une question de philosophie historique très digne assurément d’être étudiée à fond ; mais cette étude nous entraînerait hors des limites de notre cadre. Nous nous bornerons en ce moment à dire que l’accueil fait par le public tout entier et par les partis eux-mêmes à la création du musée de Versailles est une réponse péremptoire à la critique que nous venons de signaler. L’unanime applaudissement sorti de tous les rangs et de toutes les opinions prouva, dès l’origine, que l’appel fait par la royauté à l’apaisement des passions avait été entendu. La république est née d’un jour sans pouvoir ; le bonapartisme, déjà né une fois de la république, s’est montré à sa suite comme une protestation historique de l’ordre contre l’anarchie ; mais la glorification des grandes choses de la république et de l’empire n’est pour rien ni dans le retour des misères républicaines ni dans l’apparition de l’ombre impériale. Si le musée de Versailles a été une témérité, cette témérité fut heureuse : elle ne compromit pas la politique du roi, et elle sauva pour toujours le plus beau monument du siècle de Louis XIV.