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étaient lents et graves ; les énormes muscles qui labouraient ses membres étaient au repos. Quelquefois un frisson qui courait sur ses reins secouait, comme des vipères, les longues mèches de poil qui recouvraient son cou et le haut de ses épaules. Pourtant, sous ce calme, on sentait tant de souplesse, tant de puissance, qu’il semblait que, d’un bond, le terrible animal pouvait être sur les chasseurs. Quand il eut versé une charge de poudre et coulé une balle dans chacun des canons de son fusil, M. Arnaud chercha ses amorces : il ne les avait plus. — Sorte maladetta ! exclama Stéphen dans son jargon italien. — Il n’y a qu’un parti à prendre, répondit le tireur désappointé : c’est de faire un détour pour éviter de marcher sur la queue du lion, et nous reviendrons ensuite vers la route.

Cela fut fait ainsi ; mais un peu plus loin le sentier s’arrêtait brusquement au pied d’une ligne de rochers à pic, et les traces de.mulet retournaient en arrière. — Que le diable emporte la bête et celui qui la montait ! murmura le Grec, obligé d’avouer qu’ils s’étaient égarés. Les deux chasseurs durent revenir sur leurs pas. Arrivés près de l’endroit où ils avaient vu le lion, ni l’un ni l’autre n’étaient tranquilles ; pourtant, comme de ce côté le terrain était nu et que l’on pouvait voir de loin, ils avancèrent toujours : le formidable rôdeur n’y était plus, et ils purent se croire débarrassés de son voisinage. Le sable portait des empreintes bien reconnaissables autour de deux creux au fond desquels il y avait encore un peu d’eau. Dévorés par la soif qui commençait à brûler leur gosier, Stéphen s’agenouilla au bord du premier, M. Arnaud près de l’autre. — Cette eau est chaude à soulever le cœur, dit l’un. — Et le lion a sali celle-ci ! ajouta l’autre en rejetant la première gorgée avec une grimace arrachée par le goût révoltant et l’odeur ammoniacale de ce breuvage.

Plus loin, un arbre immense couvre de son ombre un îlot que le torrent entoure de ses bras de sable : ils n’en étaient guère qu’à cinquante pas, lorsque, sans même se communiquer leur pensée, tous deux s’arrêtèrent en même temps ; le lion était couché au pied de l’arbre. Au bruit de leurs pas sur les galets charriés par les pluies d’orage, le roi du désert venait de soulever son énorme tête et les regardait passer.

Arrivés enfin au point de départ, c’est-à-dire au puits de Tadali qu’entouraient quelques Bédouins, et la soif étanchée, le Grec Stéphen voulut se reposer : il n’en pouvait plus, disait-il. Un des Bédouins pétrissait une poignée d’argile : quand cette terre eut le degré de souplesse et de ductilité voulu, il se mit à en faire une sorte de pipe informe, qu’il remplit de tabac grossièrement coupé ; cela fait, il alluma avec son briquet un morceau de moelle d'ochar (portulacca tomentosa), et deux secondes après ses lèvres, appliquées sur l’ouverture