Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’on s’avance vers l’ouest, et se revêtent de forêts au-dessus desquelles émergent çà et là des sommets chauves.

Derrière le troupeau venaient des Bédouins un peu mieux armés, et dont quelques-uns avaient des fusils à mèche : c’étaient les hommes l’élite de la tribu, qui, sous le commandement du scheikh, se disposaient à défendre certains passages difficiles, afin de retarder la marche de l’ennemi. Leur chef vint à nous, prit la main de M. D., et, après l’avoir serrée, porta la sienne à ses lèvres comme pour baiser la place qu’avait touchée celle de l’agent consulaire, en prononçant la formule arabe ahlan ou sahlan (sois le ’bienvenu) ! Puis il passa de l’un à l’autre, répétant pour tous indistinctement le même cérémonial. Mohammed-Nouraï (c’était son nom) ne se distinguait des siens que par son taub[1] un peu plus blanc, par sa tête rasée, preuve qu’il avait accompli le pèlerinage aux lieux saints imposé à tout musulman, enfin par une calotte recouverte extérieurement de petits losanges de soie de toutes les couleurs. Un esclave noir portait son fusil et son sabre. Le scheikh avoua franchement qu’il se considérait comme sauvé par notre présence, à cause de l’effet que nos armes à feu devaient produire sur les Costanis, en supposant qu’il leur prît fantaisie de fouiller les ravins au fond desquels ses hommes venaient de conduire le troupeau ; mais, s’il était tranquille de ce côté, il tremblait pour son frère Fokad, l’un des plus intrépides chasseurs de Samhar. — Il y a trois jours, nous dit le chef d’Eylat, on est venu le prévenir qu’une nombreuse troupe d’éléphans était descendue des montagnes vers la vallée des citronniers à une journée d’ici, et depuis avant-hier il est dehors avec son esclave et son dromadaire. Il est vrai que le dromadaire est un admirable coureur, et que le nègre est un homme dévoué ; ils ont d’ailleurs fait provision de poudre et de balles. Cependant je ne suis pas tranquille. Je lui ai expédié aujourd’hui deux hommes qui sont déjà de retour sans l’avoir vu. Je crains qu’il n’ait suivi les éléphans de la vallée des citronniers dans celle de Massenaï, où ces animaux se seront probablement réfugiés, et qu’en remontant vers leur pays ces chiens de Costanis ne prennent par le chemin d’Akhouar ; alors ils trouveraient Fokad sur leur route, et, si cela arrive, mon frère, qui leur a déjà tué tant d’hommes, est perdu.

En ce moment, un Bédouin arrivait en courant : c’était une des vedettes que le scheikh avait échelonnées sur les hauteurs pour épier les mouvemens de l’ennemi. Les Abyssins venaient de dépasser le grand torrent peu éloigné de l’ouverture de la vallée de l’Eau-Chaude ; mais ils n’étaient guère que deux cents hommes, le gros de la troupe

  1. Le taub est une pièce de toile que les Bédouins portent de la même manière que les Abyssins portent le couari.