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nous avions comploté une chasse aux gazelles. Il s’agissait de remonter la vallée de l’Eau-Chaude, qui, à deux lieues de là, n’est plus séparée de la plaine d’Assouz que par un chaînon de peu d’épaisseur ; ce chaînon franchi, nous nous trouvions au milieu de l’espace qui sépare le village de Gomoth de celui d’Eylat. Toute cette vallée très longue, et qui, sur quelques points, n’a pas moins de trois ou quatre lieues de large, est remplie par une mer de seyâl hauts de cinq ou six pieds seulement, au maigre feuillage, sur lequel tranche le vert sombre de quelques garças égarés loin des collines. Deux torrens courent comme de grands serpens au milieu de la forêt naine, et de loin en loin des acacias niloticas, des athels géans au feuillage glauque, et quelques autres arbres qui atteignent des proportions colossales, marquent les sinuosités de ces fleuves éphémères, dont le lit, presque toujours à sec, est semé de portulacca aux larges feuilles cotonneuses.

Il pouvait être dix heures du matin lorsque nous atteignîmes le premier de ces torrens. Sur le sable encore humide, de nombreuses traces toutes fraîches prouvaient qu’une troupe d’arabat[1] avait passé là le matin, les gazelles préférant ces larges voies presque nues aux sentiers pleins d’embûches qui s’enchevêtrent dans les halliers où les lions, les panthères, les léopards et deux ou trois variétés de lynx guettent leur passage. Nous chassions devant nous des pintades, des beni-israïl, qui sifflaient en passant avec la rapidité d’une flèche, et des familles de phacochères qui, dans leur fuite, courbaient comme des touffes de gramen les tiges des portulacca ; mais nous ne voulions point de ce gibier, et personne ne daigna leur lâcher un coup de fusil.

Cependant la journée s’avançait, et nous ne découvrions point de gazelles. Gazaïn était visiblement mécontent. Rentrer sans gazelles, quand la nuit il avait vu d’interminables troupes de ces animaux défiler dans ses songes, cela lui semblait honteux. Son regard parcourait lentement le terrain tout autour de nous, plongeait dans chaque éclaircie du bois et interrogeait le sol, tandis que ses narines flairaient l’air, comme si à l’odorat il eût pu reconnaître la présence du gibier que nous cherchions. Nous venions d’atteindre alors un point où le torrent se bifurquait, comme si c’eût été le confluent de deux torrens secondaires. Dans cette supposition, il était vraisemblable que le troupeau d’arabat (gazelles) ne devait pas être allé bien loin, et qu’il avait dû gagner la forêt, le lit des deux petits cours d’eau étant trop étroit pour qu’il y fût en sûreté ; mais avec sa sagacité infaillible, l’Abyssin, pour lequel les choses les plus insignifiantes étaient des indices sûrs, observa encore que l’espace que nous supposions compris entre deux torrens différens n’était pas autre chose qu’une île vers laquelle il se

  1. Nom arabe d’une variété de gazelle ; l’autre se nomme choucan.