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il contribuerait à mon avancement : eh bien ! il s’obstine à m’éviter tant qu’il peut. Tôt ou tard il sera pendu ; ne vaudrait-il pas mieux que ce fût un ami qui lui rendît ce service plutôt qu’un de ses ennemis ? Il mourrait du moins avec la certitude de faire de moi un alférez… Ah ! continua le cabo (car l’homme qui parlait n’était autre que le brigadier que j’avais rencontré au pont de Calderon), des amis comme celui-là ne valent pas un tlaco !

— Et où es-tu donc allé chercher Albino ? demanda un des compagnons du cabo.

— A la barranca del Salto d’abord, puis à Zapotlanéjo ; mais il venait de quitter ce dernier endroit lorsque j’y suis arrivé.

— Je le crois bien, on m’a dit qu’on l’avait vu entrer hier à Guadalajara en plein jour.

— Vraiment ! s’écria le brigadier de dragons ; alors je cours lui faire honte de sa conduite, car je sais à peu près où le trouver.

En disant ces mots, le sous-officier se leva avec tout l’empressement d’un joueur qui espère mettre la main sur une martingale. Bientôt il fût au bout de l’allée et hors de la vue de ses camarades.

— Notre cabo est un fin limier, dit après quelques instans de silence l’un des deux dragons si brusquement abandonnés par le brigadier. Dire pourtant qu’il ne faudrait que présenter au gouverneur la tête de ce scélérat d’Albino pour avoir les épaulettes d’alférez !

En ce moment, je crus distinguer à l’extrémité de l’allée mon compagnon de voyage don Ruperto, et je renonçai à écouter la suite de cette conversation, malgré les détails curieux qu’elle me promettait sur les mœurs militaires du Mexique. C’était bien don Ruperto en effet qui venait à ma rencontre. Il s’était rendu à mon meson, et l’hôte lui avait assuré que je devais être à l’Alameda.

— Je vous cherchais, me dit le vétéran, parce que mon neveu est forcé, pour une affaire urgente, de quitter Guadalajara cette nuit même ; il serait désolé de partir sans avoir eu le plaisir de vous offrir à souper en remerciement du service que vous lui avez rendu, et en dédommagement de la poule coriace que j’ai été contraint de vous laisser manger seul à Calderon.

— Ah çà ! je vous ai donc décidément rendu service à tous deux ?

— A mon neveu plus qu’à moi.

— Et vous ne pouvez pas me dire quelle est la nature de ce service ?

— Mon neveu vous donnera à cet égard de plus amples explications.ce soir. À tout prendre, c’est son secret et non le mien. Je dois donc le laisser maître de parler ou de se taire.

Tout cela m’était dit d’un ton qui redoublait singulièrement ma curiosité. Qu’était-ce que ce jeune homme qui me faisait, sans me connaître, complice d’un mensonge dont je cherchais vainement à apprécier