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intentions à cet égard. La veuve n’osait l’interroger ; elle sentait son cœur défaillir à une telle pensée ; son regard évitait celui de son fils, qui, au contraire, semblait chercher dans les yeux de sa mère une solution aux doutes qui le tourmentaient.

Un dimanche soir, la famille était, comme de coutume, rassemblée autour du foyer où brûlait un feu clair de menus branchages. L’inaction faisait paraître le temps plus long, et une triste inquiétude régnait dans le cœur de la mère et des enfans. Renée, assise dans le vieux fauteuil de bois à dos élevé, dont les pieds immobiles étaient fixés au sol par leur pesanteur massive, regardait la flamme capricieuse qui pétillait dans l’âtre ; elle comprenait instinctivement que l’heure de l’épreuve était enfin arrivée. Marie, placée près d’elle sur un escabeau très bas, appuyait sa tête au bras du fauteuil de sa mère tout en suivant d’un regard humide les mouvemens saccadés de son frère et l’expression inaccoutumée de son visage. Jean, après avoir fait plusieurs tours dans la chambre, fouillant et remuant mille objets qu’il ne reconnaissait même pas, vint enfin s’asseoir en face de sa mère. Il secoua du bout de son soulier ferré le fagot enflammé, qui jeta une lueur plus vive ; puis, faisant un grand effort sur lui-même, il dit d’une voix rauque et sans lever les yeux : — Ma mère, il faut que je parte !

Renée fit un mouvement, et jeta un regard rapide sur son fils.

— N’essayez pas de me retenir, continua Jean en détournant la tête, car ses, yeux avaient malgré lui rencontré ceux de sa mère, et l’expression qu’il y avait remarquée faisait trembler sa voix. Il le faut, voyez-vous ! Je suis le seul de la paroisse qui n’ait pas encore rejoint l’armée. On commence à me regarder de travers et à murmurer contre moi. J’ai tout supporté jusqu’à présent pour l’amour de vous et de Marie ; mais ça, ne peut durer plus long-temps. J’ai pris ma résolution ; il faut que je parte !

Renée baissa la tête sur sa poitrine ; deux larmes tremblèrent au bord de ses cils, mais ses yeux brûlans les séchèrent aussitôt.

— Je ne cherche pas à t’empêcher de partir, Jean, dit-elle à voix basse.

— Non, répondit-il, mais vous ne m’avez pas encore dit de le faire.

— Ah ! reprit Renée en relevant la tête d’un air de reproche, est-ce qu’une mère peut avoir le courage d’exposer son fils à la mort ? C’est bien assez, mon Dieu, qu’elle se soumette, sans murmurer tout haut et qu’elle ne cherche pas à le retenir.

Et Renée se tourna lentement sur son siège en inclinant sa tête du côté du mur de façon à cacher son visage. — Jean, dit Marie tout bas en pleurant, si tu nous quittes, ma mère mourra de chagrin. — Jean se leva, fit deux tours dans la chambre, et finit par s’arrêter devant Marie.