Rome, les conquis, sous le nom de plébéiens, arrivent peu à peu à conquérir les mêmes privilèges que les patriciens. Cette marche ascendante, M. Éliot l’a suivie et dans les faits, et dans les institutions, et dans la littérature, en un mot dans toutes les expressions de l’activité. À voir le cadre qu’il embrasse, on est comme désespéré ou plutôt comme écrasé sous l’idée de tout ce qu’il faut savoir à l’heure qu’il est pour être digne de parler et propre à faire avancer les lumières acquises. Lui-même pourtant a fait honneur à sa tâche sous bien des rapports. Il a sagement réagi contre le scepticisme exagéré de l’école de Niebuhr ; il a donné un sens probable à plus d’une légende jusque-là non interprétée. Si d’autres avaient avant lui retracé les progrès et la victoire du parti plébéien, il a émis des vues neuves sur un tiers-parti qui, au lendemain de cette victoire, semble s’être formé par l’union des patriciens éclairés et des hautes classes plébéiennes, tandis que les ultra-patriciens tentaient un peu, connue nos légitimistes, de se coaliser avec les basses classes, avec les mécontentemens et les exaltations immodérés. Le tableau qu’il nous trace de Rome à cette époque et plus tard a un autre mérite, celui d’être large, de bien présenter tous les autres moteurs : d’abord tous les partis, les pauvres, les affranchis, les esclaves, les étrangers (autrefois appelés ennemis), et sous ces partis les seules tendances qui composaient leur activité. Son jugement général nous paraît résumer tout ce que l’on a pu dire jusqu’ici, sauf dans un sens. « Dans l’antiquité, remarque-t-il, le degré de civilisation fut généralement proportionné au développement de la liberté. À Rome seulement, il n’en est plus ainsi : dans sa législation, la liberté s’éleva plus haut que chez aucune autre nation païenne, sans entraîner un progrès parallèle dans les sciences, les arts et le bien-être. » C’est bien cela En Grèce, il y avait mille fois plus d’aptitudes à l’œuvre ; l’activité était capable de prendre mille fois plus de formes ; seulement tout était capricieux et inconstant. La supériorité de Rome, c’était d’avoir des idées fixes, des désirs ou des volontés plus tenaces, plus intenses ; mais Rome était plus exclusive, plus pauvre en humanités ; elle n’avait que l’orgueil et l’esprit de domination, le besoin de vaincre au Forum ou sur les champs de bataille, d’écraser tel parti adverse, de triompher de tel concurrent, de subjuguer tel peuple. Ses magistratures et ses assemblées n’étaient elles-mêmes qu’autant de trophées d’une victoire remportée par une classe et autant d’instrumens que cette classe était décidée à employer quand même, pour s’élever sur les ruines d’une autre. À côté d’une magistrature conquise par les plébéiens, il y avait toujours une magistrature rivale que les patriciens ne s’étaient pas laissé arracher, et qui avait toujours autorité pour vouloir ce que ne voulait pas l’autre. Des partis, voilà Rome ; il n’y avait pas d’individus ; la nation se composait exclusivement de quatre ou cinq coalitions, de quatre ou cinq machines de guerre aveugles et sans oreilles et obstinément occupées à s’anéantir l’une l’autre. « Plus nous avancerons, écrit M. Éliot, plus nous remarquerons l’absence de cette sympathie qui plie le plus orgueilleux caractère jusqu’à la tendresse, et qui exalte les plus humbles actions jusqu’au succès. D’autres incompétences se révéleront aussi clairement, et la scission béante entre des classes incapables de se prêter aux exigences des circonstances et de tenir compte des dangers successifs finira par entraîner leur ruine à toutes, » Nous
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