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plus tard, de sabrer les fils de ses vieux soldats, et le général Rukawina, qui, âgé de quatre-vingts ans, défendit si héroïquement Temeswar, pendant trois mois et demi, et mourut de joie subitement quand il sut que le général Haynau venait de délivrer la ville. Voyez encore, dans la pièce intitulée au Milieu des Tombeaux, toute une nécropole peuplée de figures martiales : le baron de Geramb, si célèbre par sa brillante audace ; le baron Boehm, frappé dans tout l’éclat de la jeunesse ; le vieux colonel Puchner, marchant sur l’ennemi la pipe à la bouche ; l’aumônier Roth, exécuté par les insurgés ; chacun est placé dans cette galerie funèbre avec les couleurs éclatantes ou sombres qui lui conviennent. Que vous semble d’une telle poésie ? N’atteste-t-elle pas une invincible ardeur de patriotisme ? Il y a surtout, et c’est précisément ce que j’ai voulu signaler, il y a dans les vers de ce poète, jadis si gracieusement efféminé, une hardiesse, une netteté de résolution vraiment extraordinaire. Nul symptôme ne dit mieux, selon moi, quelle rude secousse a éveillé les esprits.

Si les guerres d’Italie et de Hongrie ont inspiré à la poésie autrichienne des rouvres d’un caractère tout nouveau, les événemens de l’intérieur ont dû saisir aussi maintes intelligences et modifier profondément la physionomie des lettres. Quels enseignemens dans cette année 1848 ! Quelle vive et impitoyable clarté sur la société tout entière ! Les révolutions de 1848 se sont ressemblé presque partout ; elles ont pourtant certaines variétés qui les distinguent, car le propre de ces explosions démagogiques a été de faire éclater dans chaque peuple le mauvais côté de sa nature. Pour ne parler que de l’Allemagne, la révolution, pédante et impie à Berlin, a montré surtout à Vienne la crédulité populaire. Aucun peuple ne s’est laissé plus niaisement tromper par les tribuns, aucun ne s’est livré avec plus de complaisance, et n’a donné les mains à de plus étranges mascarades. Ne lui a-t-on pas persuadé qu’il était tenu d’applaudir à la révolte des Slaves de Bohême et à l’insurrection féodale de l’aristocratie magyare ? Une lutte est ouverte depuis longues années entre l’esprit allemand et ces différentes nationalités, qui veulent restaurer leurs vieilles traditions ; on a fait croire aux Allemands de Vienne qu’ils devaient se réjouir des progrès de leurs adversaires, que l’affaiblissement de leur propre influence était pour eux le plus beau des triomphes. Bonne race, gens débonnaires, la frénésie démagogique n’a pas eu de peine à les pousser dans la rue et à leur mettre les mains dans le sang ; cette bonté imbécile fournissait une matière commode aux entreprises des factieux.

Un poète distingué, M. Frédéric Halm, a été surtout frappé de ce caractère que présente la révolution viennoise, et il l’a exprimé en de beaux vers. M. Halm, comme M. de Zedlitz, vivait fort en dehors des