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hygiène, elle pouvaient rester nues, — dans les humides forêts d’un pays qui a inventé les vêtemens imperméables.

On ne serait pas bien loin de la vérité en disant que les successeurs de Pope et de Dryden ne firent que réfléchir le XVIIIe siècle français, soit dans son idéal de l’homme selon la philosophie, soit dans ses utopies de l’homme selon la nature. Les poèmes de Voltaire et les romans de Jean-Jacques Rousseau ont passé par là. Vers la fin du siècle, un effort généreux fit sortir Crabbe des lieux communs de l’humanité abstraite et de la description classique. Il toucha aux. conditions sociales ; il peignit l’homme sous les haillons du pauvre, et la cabane, non celle qui fait point de vue dans un parc aristocratique, mais celle où la misère engendre des passions et des douleurs inconnues[1]. Je ne m’étonne pas que lord Byron l’ait eu en grande estime[2] : avec plus d’invention, il eût été lord Byron ; il en fut du moins l’énergique précurseur. Après lui, et à l’époque où lord Byron écrivait ses premiers vers, d’agréables poètes ramenaient l’art dans l’innocente voie du jeu d’esprit. Wordsworth, Thomas Moore, Coleridge, Walter Scott, Southey même, le Cotin de lord Byron, trouvaient, entre l’homme abstrait de l’école de Pope et l’homme caractérisé par sa condition, tel que Crabbe l’a peint, l’homme romanesque des légendes et des ballades. Ils rendaient la langue poétique plus précieuse, ou, comme Southey, plus bizarre, sans la renouveler. Cependant ils n’étaient indignes ni du dépit jaloux avec lequel lord Byron les attaqua dans son amère satire des Bardes et des Critiques écossais, ni surtout de la réparation qu’il leur fit dans la suite. La douceur de Wordsworth, dans une telle langue, est un don supérieur ; Rogers a élevé l’élégance jusqu’à la poésie ; les romans en vers de Walter Scott seraient beaucoup plus estimés, si ses romans en prose étaient moins aimés.

Voilà de quelle poésie s’amusaient des insulaires qui craignaient une descente de l’étranger dans leur pays, des marchands menacés du blocus ou occupés de prises, une aristocratie qui délibérait aux communes ou se battait sur le continent. Ce travail ingénieux contentait des imaginations absorbées et comme épuisées par le spectacle de la lutte entre la France et l’Angleterre, et qui demandaient aux poètes des distractions plutôt que des émotions.

Grande fut la surprise de cette société, lorsqu’en janvier 1812 les deux premiers chants de Childe-Harold lui révélèrent un grand poète. C’en fut assez pour faire diversion aux rumeurs qui circulaient déjà sur la campagne de 1812. L’Angleterre, à la veille de faire un suprême effort pour soulever contre Napoléon tout le poids de la Russie, se

  1. The Village, the Borough, etc.
  2. Dans une lettre à M. D’Israëli, il appelle Crabbe « le premier des poètes vivans, » et, dans la satire des Bardes et Critiques écossais, « nature’s sternest painter. »