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ne permet pas aux pénétrans de se dérober à leur conscience. La foi commande, la morale persuade ; ce fut là le grand caractère de la prédication catholique chez nos sermonnaires du XVIIe siècle, lesquels sont nos plus profonds moralistes. Le protestantisme lui-même n’a pas toujours dédaigné l’alliance de la théologie et de la morale, témoin l’anglican Jeremy Taylor[1], si semblable à notre Charron quand il met le bon sens de l’antiquité au service des idées chrétiennes, à notre François de Sales par les images familières dont il émaille les sévérités du dogme ; mais le caractère actuel de la prédication en Angleterre est exclusivement théologique. Je n’ai pas à dire pourquoi je lui préfère la méthode catholique ; je dois seulement remarquer par quelle convenance singulière la religion vient fortifier dans les deux pays la qualité dominante de chacun. En Angleterre, pays d’intelligence politique, elle se présente sous la forme du dogme, c’est-à-dire de la loi dans son expression la plus absolue ; en France, le pays sociable par excellence, c’est à l’esprit de sociabilité qu’elle vient en aide, comme la plus parfaite des morales.

Il suffit de quelque séjour en Angleterre et d’un médiocre usage de la langue pour reconnaître que la conversation courante n’y est guère qu’un formulaire. Ce qui est vrai de l’écriture des Anglais est vrai de leur discours ; on dirait que c’est la race, et non l’individu, qui tient la plume et qui parle. De là, dans l’écriture anglaise, une certaine beauté régulière, uniforme, mais noble, qui montre combien est profonde l’empreinte de la discipline chez ce peuple libre ; de là aussi, dans la conversation, à défaut des graces du langage individuel, cette.précision et cette hardiesse qui sont les qualités de la race, et qui feraient prendre pour un homme distingué le premier Anglais qu’on entend parler. Dans cette uniformité expressive, s’il est difficile de distinguer ce que nous appelons les gens d’esprit, il l’est encore plus de reconnaître des sots. Enfin, cette langue est celle du génie de la nation ; elle a de grands traits, il lui manque de la physionomie. C’est encore un de nos avantages sur l’Angleterre. Notre langue a, comme la sienne, un cachet national, la clarté, et elle a de plus autant de physionomies qu’il y a de gens d’esprit qui la parlent. Les Anglais éclairés le reconnaissent, et le cas médiocre que certains d’entre eux paraissent faire de notre supériorité sur ce point n’en rend l’aveu que plus précieux. Ce qu’on envie le plus aux gens est souvent ce qu’on affecte d’estimer le moins.

On devine la cause de ce manque de diversité dans la langue de la conversation en Angleterre. Là où l’on ne parle ni de soi ni des autres, et où l’ame ne vient pas sur les lèvres, je ne m’étonne pas que la langue n’ait pas de physionomie.

  1. Né en 1613, mort en 1667 avec le surnom du Shakspeare des théologiens.