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contre lui le parti des consciences troublées, et bientôt il ne plus fut possible autour de lui de ne point l’admirer et de ne point le blâmer.

Lord Byron en fut ébranlé. Déjà maître des esprits, il eut le sentiment qu’il ne se rendrait pas maître des mœurs, et, après le prodigieux succès du Corsaire, il songea un moment non-seulement à ne plus écrire, mais à racheter pour le détruire tout ce qu’il avait déjà publié. Les conseils intéressés de son éditeur Murray, mais, plus que cela, la gloire trop nouvelle encore pour avoir perdu toute sa douceur, et le poème touchant et terrible de Lara qui déjà fermentait dans sa tête, le détournèrent de ce singulier dessein. Il y pensa long-temps. « Si je prends une femme, écrivait-il dans son journal, et si cette femme me donne un fils, je le mettrai dans le plus anti-poétique de tous les chemins j’en ferai un homme de loi, un pirate ou tout autre chose ; mais, s’il écrit, j’y verrai la preuve qu’il ne sera pas de moi. » Boutade dans l’expression, au fond cette disposition d’esprit était sérieuse ; elle prouvait deux choses : la force de cette résistance des mœurs qu’il se sentait impuissant à conjurer, et l’amertume qui se mêle toujours à la gloire. Il s’était même dégoûté d’écrire son journal. « J’y veux renoncer, écrivait-il, et, pour m’empêcher d’y retourner, comme le chien à ce qu’il a vomi, j’en déchire les derniers feuillets. Oh ! je deviendrai fou ! » Ce dépit se dissipa en écrivant Lara ; mais la cause demeurait : un instinct sûr avait averti lord Byron qu’il devenait incompatible avec son pays à mesure qu’il y devenait populaire.

Dans cette prévention croissante contre ce qu’on savait ou ce qu’on supposait de son caractère, lord Byron ne pouvait pas faire une faute impunément. Sa séparation d’avec sa femme fut un malheur dont la prévention publique fit plus qu’une faute. Le poète fut blâmé même par ses proches parens. Lord Byron, qui s’en plaint avec vivacité, n’en dit pas la cause ; c’était la puissance des mœurs publiques qui lui ôtait l’approbation de sa famille, et qui la forçait de défendre la sainteté du mariage, même contre un parent. L’Angleterre ne le jugea pas en jury ; elle vit une jeune femme respectable quitter le domicile conjugal et se réfugier chez son père. C’était assez ; les mœurs demandent moins de preuves que les tribunaux. Le procès fait à lord Byron était un procès de tendance ; il le perdit. « Les sages condamnèrent, dit Walter Scott ; les bons, — et il en était, — regrettèrent[1]. » Mais les regrets des bons ne pouvaient pas soutenir lord Byron contre la condamnation des sages : il songea dès-lors à l’exil, « sentant bien, écrivait-il, que, si tout ce qui se disait à voix basse, s’insinuait, se murmurait, était vrai, il n’était plus fait pour l’Angleterre ; si c’était faux, que l’Angleterre n’était plus faite pour lui[2]. »

  1. Note sur la stance seizième du troisième chant de Childe-Harold.
  2. Lettre à M. D’Israëli.