Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/440

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous avons offensé notre semblable ; pardonner si l’on nous a offensés ; regarder le monde moins comme un ennemi que comme un ami capricieux et peu sûr, dont nous devons chercher à mériter l’approbation, sans la briguer ni la mépriser : voilà, ce semble, les moyens les plus certains de garder ou de regagner la tranquillité de l’esprit.

Semita certe
Tranquille per virtutem patet unica vitae[1].


III.. – DES CAUSES DE LA DEFAVEUR OU SONT TOMBEES LES POESIES DE LORD BYRON.

Depuis la mort de lord Byron, la société anglaise continue de se défendre contre la gloire de ce grand poète. Bien des choses sont venues l’y aider. Le propre des ouvrages dont la principale beauté consiste dans la peinture des sentimens individuels de l’auteur, c’est que l’admiration qu’ils ont excitée pendant sa vie s’éteint ou se refroidit après sa mort. Tant qu’il est vivant, ses livres sont un roman dont le héros existe, et rien n’intéresse plus qu’un roman qu’on sait être une histoire vraie. Imaginez dans ces dernières années, quand notre société française tout entière, sauf quelques obstinés qui se doutaient d’un piège, ou qu’une vieille prévention défendait d’une illusion, lisait certains romans qui se débitaient feuille à feuille chaque matin pour irriter l’appétit en le faisant languir, imaginez quel eût été le charme si l’on eût soupçonné que l’auteur était caché sous le beau rôle du roman. Ce fut là le charme des poèmes de lord Byron. L’enchantement dura tant que l’enchanteur vécut. Les morts sont bientôt oubliés, les plus tôt oubliés sont ceux qui ont le plus parlé d’eux ; tandis que les hommes de génie qui ont été les interprètes désintéressés de la vérité générale grandissent chaque jour dans la sérénité de leur gloire innocente, ceux qui ont passionné les ames par des peintures flattées ou exagérées des troubles de la leur ont peine se soutenir sur cette nier de l’oubli où s’engloutissent, dans la foule des noms obscurs, tant de noms qui ont fait du bruit. La gloire de lord Byron a connu ces retours. L’idéal de ses poèmes était sa personne ; sa personne disparue, l’idéal s’évanouit : ce fut une première disgrace.

Le temps, qui marche si vite pour les morts, en amena une seconde. Il y avait dans ces poésies deux sortes de nouveautés, celle des beautés qui durent et celle des ornemens qui passent. Celle-ci, comme la plus extérieure, avait été la plus admirée ; ce fut aussi la première dont on se dégoûta La grace de ces nouveautés venait surtout de ce qu’elles remplaçaient le vieux paganisme, la mythologie de la Forêt de Windsor

  1. Note de Walter Scott sur la quatorzième stance du IIIe chant de Childe-Harold.