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esprits réfléchis ? C’est le bon moment pour l’essayer. Les impressions téméraires de la foule ne viendront plus imposer au lecteur l’admiration ou le blâme. Que disent ces poésies, autrefois si vantées, soit à ceux qui les lisent pour la première fois, soit à ceux qui, les ayant lues au temps de leur vogue avec des yeux prévenus, rouvrent le livre, non pour prendre parti pour ou contre le poète, mais pour le connaître ? Les poésies de lord Byron ont le mérite commun à tous les ouvrages du génie : elles nous touchent par tout ce qui ne change pas en nous, et ne dépend ni des temps ni des lieux, et elles dureront, parce qu’elles sont vraies. Ce n’est ni la vérité homérique et virgilienne, ni celle de nos dramatiques français, ni celle de l’incomparable compatriote de lord Byron, Shakspeare. Celle-là, tous les cœurs mortels, s’il s’agit de passions et de sentimens, tous les esprits, s’il s’agit de caractères et d’actions, en sont d’accord. La vérité, dans les œuvres de lord Byron, est une lumière qui s’éclipse à chaque instant, un miroir terni çà et là, non par un souffle passager, mais par des taches irréparables : elle est l’effet d’un moment de calme et comme d’une courte, trêve de la passion dans un esprit emporté et aigri ; elle n’est pas l’habitude et l’état de santé de l’ame.

Pour commencer par ses personnages, le faux s’y heurte à chaque instant au vrai. Il n’est pas exact, Dieu merci, qu’une certaine hauteur d’ame ne soit donnée qu’à des hommes capables de grands crimes, et que le caractère le plus près d’un héros soit un brigand. Dans cette complaisance du poète pour des hommes en insurrection ouverte contre la société, et qui lui font la guerre pour garder impunément un prétendu trésor d’héroïsme incompatible avec ses conventions et ses lois, je ne veux voir que la rancune du poète contre les gênes de la société de son pays. Ce mélange de l’extrême grandeur et du brigandage, ces traits d’humanité dans le plus implacable mépris- pour les hommes, ces pirates délicats sur l’amour comme les héros de d’Urfé et fidèles comme M. de Montausier à Mlle de Rambouillet, ce respect des convenances les plus raffinées dans la violation ouverte de toutes les lois divines et humaines, cette profondeur de méditation et ce goût pour la rêverie dans l’activité fiévreuse de la vie d’aventure, toute cette beauté du corps et de l’aine chez des gens qui se sont nais d’eux-mêmes hors la loi, c’est un idéal de roman relevé par la poésie.

L’auteur y est d’ailleurs trop souvent de sa personne. Sa disposition à s’incorporer à ses héros est si forte, qu’il ne prend pas toujours le soin de déguiser la métamorphose, et qu’à son insu il se met à leur place. Alors on voit un corsaire animé des ressentimens au moins inconséquens d’un lord anglais contre l’aristocratie de son pays, un pacha penser et s’exprimer comme un whig, et le Childe-Harold des premiers chants de ce poème se confondre avec lord Byron dans les