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par lesquelles se transmet la vie. Lord Byron le sent et le peint en moraliste chrétien. On le croirait nourri des Pères quand il regarde dans son cœur et qu’il confesse sa corruption. Le christianisme semble être entré de vive force dans ce frère des anges rebelles de Milton ; mais il y met la connaissance sans en chasser l’orgueil : Byron est comme certains blessés, il prend un triste plaisir à voir saigner ses plaies.

Le dégoût des choses humaines, le doute sur les choses divines, tel est l’état d’esprit habituel de ce grand poète. Avant de s’en amuser effrontément dans Don Juan, il en avait gémi, il se l’était reproché plus d’une fois. Quand il écrivit Don Juan, il était endurci par l’exil, ennuyé de la gloire, sans en être rassasié, las des hommes, dont la louange ne le touchait plus et dont le blâme continuait à l’irriter ; plus las de son propre cœur, où les passions s’éteignaient sans que le repos y rentrât. Son doute est insultant ; il raille tout ce qu’il ne peut plus aimer ; les vertus qu’il n’a pas, il les nie, et, par le dernier travers où puisse tomber un Anglais, il perd le respect de son pays. C’est pourtant de l’abîme d’un tel doute qu’il sortit, comme un désespéré, pour aller défendre la cause des Grecs, et voilà pourquoi beaucoup crurent que l’héroïsme de sa fin n’était que le suprême effort d’un homme blasé courant après un dernier amusement.

Avant ce doute impie, il en avait connu un meilleur : c’est le doute de ses premiers poèmes, c’est le doute de Childe-Harold, de Conrad, de Lara ; c’est celui du poème qu’il écrivit dans les premiers jours de l’exil, alors qu’à l’orgueil d’une proscription volontaire il mêlait la tristesse d’un adieu à la patrie. Ce doute est bien plus près de ressembler aux angoisses de l’ame de Pascal qu’à l’insouciance de Montaigne ou à la gaieté de Voltaire. Byron n’était pas fait pour le doute de nos libres penseurs, ni pour dormir sur l’oreiller qu’il leur fait, lui qui met dans la, bouche de Manfred ces paroles si vraies de son propre cœur : « Mon sommeil, si je connais le sommeil, n’est pas dormir ; ce n’est qu’une continuation opiniâtre de la pensée… Quelque chose veille dans mon aine, et mes yeux ne se ferment que pour regarder au dedans de moi[1]. » Un tel doute est-il d’un cœur incapable de bons mouvemens et d’un esprit incapable de bonnes pensées ? Le remords y perce d’ailleurs plus d’une fois et trahit un malheureux qui nie le bien en se reprochant de ne l’avoir pas fait, et qui, ne croyant pas à la vertu, n’ose pas se trouver innocent. Quel orgueil ne serait pas racheté par des paroles telles que celles-ci à sa sœur, la muse de ses plus aimables chants : « Si au milieu d’écueils inaperçus ou imprévus j’ai supporté ma part des choses de ce monde, la faute en est à moi. Je n’irai point

  1. Manfred, acte Ier, scène Ire