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prochain numéro. Je serais curieuse de l’entendre prêcher. On assure qu’il s’essaie déjà, et que même il est un peu ridicule.

LA MARQUISE.

J’ai encore peine à croire cela. Le comte a toujours passé pour homme d’esprit.

LA BARONNE.

Avouez pourtant qu’il fait une étrange escapade. Donner dans la piété à son âge, lorsque la fortune l’avait mis sur un si beau chemin, et si facile ! Il y a des positions dans l’église ; mais, devînt-il évêque ou cardinal, tout cela ne vaut pas une ambassade ou même une place au conseil d’état. Je ne dis rien du reste.

LA MARQUISE.

Quel reste ?

LA BARONNE.

Comment, quel reste ? Mais le monde, la liberté, la vie, tout. Un homme dans l’église, c’est une femme au couvent. Le voilà claquemuré, c’est fini. Vous n’en frissonnez pas !

LA MARQUISE.

Ce goût me semble triste ; néanmoins je vois qu’il vient encore à quelques personnes. U faut croire que la chose a aussi ses charmes. Le monde est si mal arrangé, on s’y ennuie tant !

LA BARONNE.

Taisez-vous donc, ma chère, vous me feriez pleurer. Est-il possible qu’on s’ennuie dans le monde ! Quand j’entends dire cela, il me semble qu’on parle de quelque affreuse maladie dont je serais menacée. Véritablement, êtes-vous quelquefois triste ?

LA MARQUISE.

Et vous, ma belle, véritablement, ne l’êtes-vous jamais ?

LA BARONNE.

Jamais ! Je n’appelle pas tristesse de petites fatigues qui me paraissent inséparables de l’existence et qui ne me lassent nullement de vivre. Ah ! si la destinée avait fait pour moi ce qu’elle a fait pour vous !

LA MARQUISE.

Vous voyez bien, voilà un soupir. Pourtant vous êtes riche, vous êtes jeune, vous êtes belle : que demandez-vous à la destinée ?

LA BARONNE.

Rien ; à Dieu ne plaise ! Mais en vous donnant tout ce que j’ai, la destinée, mettant le comble à ses caresses, vous a ôté quelque chose qu’elle m’a laissé à moi : un mari. N’importe, la vie est bonne, et ce pauvre comte me fait grand’pitié. Voilà qu’il n’a plus le droit de nous plaire.

LA MARQUISE.

Y tenait-il beaucoup ?

LA BARONNE.

En ce qui me concerne, non. J’en ai vu peu de moins empressés. Je ne perds point à sa faillite ; je n’avais rien de placé par là ; mais, comme femme, je suis sensible à l’affront qu’il nous fait.