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anciens maîtres, et, malgré d’incroyables efforts, le radicalisme gouvernemental fut vaincu.

La voie que l’opposition libérale parvenue à la direction des affaires s’est tracée ne peut être mieux caractérisée que par quelques fragmens du programme des nouveaux gouvernans de Berne : « Appui loyal a la constitution fédérale, maintien de l’honneur et de la liberté de la confédération, mais en même temps exécution consciencieuse des devoirs envers les voisins. L’administration entière doit être simplifiée, soit en appropriant la législation aux besoins d’un peuple simple et républicain, soit en apportant une économie sévère dans toutes les branches de l’administration, au moyen surtout de la réduction des traitemens. » — « Nous voulons le progrès dans la culture intellectuelle, disent encore les gouvernans de Berne ; mais nous voulons, avant tout, le maintien et l’observation de la foi chrétienne et des mœurs chrétiennes de nos pères par la législation, par l’enseignement, par l’exemple des magistrats et aussi par tous les changemens désirables qui pourront être apportés à nos institutions ecclésiastiques.


Cet exposé de la politique helvétique dans les trois domaines principaux de son activité, — les relations diplomatiques, les questions intérieures, les affaires cantonales, — a dû prouver que la Suisse laisse peu à peu la révolution derrière elle ; ajoutons que dans ce mouvement les populations ont sans cesse devancé leurs chefs. Ce fait a été constaté d’une façon évidente par le calme dont la Suisse a joui pendant que les états voisins étaient ravagés par l’incendie révolutionnaire. À part les persécutions de Fribourg, de Lucerne et du canton de Vaud, l’ordre public, la sûreté des personnes et de la propriété n’ont jamais été mis en question. Pour les faire respecter, il n’a fallu ni troupes, ni police ; le bon sens des populations a suffi. Une circonstance particulière a eu une grande influence sur cette heureuse amélioration de l’esprit public : la population industrielle de la Suisse, qu’on évalue à deux ou à trois cent mille ames, n’est nulle part concentrée dans des villes, excepté à Genève, et là même elle ne forme qu’une fraction peu considérable. Le tisserand en soie, l’ouvrier de fabrique possède fort souvent une maisonnette, au moins une demi-maisonnette, un demi ou un quart d’hectare planté en pommes de terre, et son petit pré qui suffit pour nourrir une chèvre. Il y trouve quelques ressources pour les temps de chômage ; il se sent toujours citoyen, il ne devient pas prolétaire. Si plusieurs branches de l’industrie suisse ont aussi été frappées par les événemens de 1848 et 1849 (en particulier la bijouterie de Genève et l’horlogerie de Neuchâtel et de Berne), en revanche la fabrication des soieries, qui s’exportent pour la plus grande partie dans les États-Unis, n’a jamais été plus florissante. La dette publique de la