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mort de son ennemi. Il voulut que sa mère se rassasiât aussi de ce spectacle ; mais Zora refusa. « De pareils trophées, dit-elle à son fils, doivent être confiés à la terre, et non promenés de tribu en tribu, comme les restes d’un homme du vulgaire. » Le tronçon du corps, racheté le surlendemain aux Kabyles, fut rapporté à Oran, où l’armée française rendit au guerrier arabe les honneurs dus à un général.

À l’heure de sa mort, durant un instant, l’ame de Mustapha sembla s’être retirée de ses cavaliers ; les Douairs eurent peur, mais plus tard ils vengèrent sur l’ennemi ce moment d’effroi, car ils sont d’une vaillante race, où le courage est un titre de gloire, même parmi les femmes. L’on cite encore avec fierté dans leur tribu le nom de Bedra, qui, enlevée près de Ras-el-Aïn, dans une razzia, le 2 octobre 1841, par Bou-Hamedi, refusa, lorsque le khalifat de l’émir voulut l’envoyer aux tentes de la fraction des Douairs soumise à Abd-el-Kader, d’accepter la protection de ses frères transfuges. « Votre cœur est tortueux, leur dit-elle ; vous avez abandonné le sentier de vos frères ; la lâcheté est votre compagne. Et toi, ajouta-t-elle en s’adressant au khalifat devant la foule étonnée de son audace, tu es semblable au voleur de nuit qui se glisse dans la tente comme le chacal. L’ombre du guerrier t’inspire la crainte ; tu n’oses attaquer que les femmes sans défenseurs : devant les fusils de nos cavaliers, tu aurais fui, mais ta fuite est vaine ; quelque profonde que soit ta retraite, le bras de Mustapha saura t’atteindre. Bou-Hamedi envoya la courageuse fille à Nedroma. Quelques mois plus tard, lorsqu’une colonne française parcourait cette partie du pays, Mustapha se présentait devant la ville et exigeait des habitans que Bedra, la fille des Douairs, fût solennellement ramenée dans son camp par les notables, tenant eux-mêmes la bride de sa mule richement caparaçonnée.

Chacun de nos pas nous rappelait des souvenirs de cette grande figure de Mustapha, dont l’ombre semble encore planer sur les Douairs, et nous prenions plaisir à les raconter à M. de Laussat, quand Ismaël-ould-Caddi, qui comprenait le français et avait suivi nos récits, se mit à psalmodier lentement ce chant que les rapsodes du pays ont composé sur la mort de l’agha :

« O malheur ! le fils de Mustapha se jette éperdu au milieu du goum, il parcourt les rangs des cavaliers et ne voit plus Mustapha, Mustapha, le protecteur des malheureux.

« Il parcourt les rangs des cavaliers et demande son père. Hélas ! l’homme héroïque, celui dont l’ascendant maintenait la paix dans les tribus, a quitté pour toujours la terre, et nous ne le verrons plus !

« Lorsqu’il s’élançait à la tête des goums, sur un coursier impétueux, l’animant des rênes et de la voix, les guerriers le suivaient en foule.

« Pleurons le plus intrépide des hommes, celui que nous avons vu si beau