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ni cette variété piquante qu’imprime au paysage français, par exemple, la liberté capricieuse du peuple qui lui donne sa forme. Notre sol est comme notre société : il a beaucoup de physionomie ; on y reconnaîtrait la diversité des caractères et des conditions. La routine, l’esprit novateur, l’activité, la nonchalance, la richesse, la médiocrité, la pauvreté, y sont représentés. Il est plus remué, plus travaillé et aussi plus agité : c’est le séjour d’un peuple agriculteur et révolutionnaire.

Le pays qu’habitent mes hôtes est situé au nord de Nottingham, sur le bord d’un plateau qui domine la vallée et la jolie petite ville de Mansfield. La maison est bâtie sur la lisière d’une vaste lande qui fit partie de la célèbre forêt de Sherwood ; l’orgueil local lui en donne le nom. Tout près de la maison, un petit bois et plus loin quelques bouquets de sapins sont la dernière conquête du travail sur la lande. À quelque cent pas cessent les filons de terre végétale qui les nourrissent, et commence le désert. Une plaine immense, onduleuse, couverte et comme tapissée de bruyères, s’étend fort au-delà de l’horizon. Çà et là, quelques buissons de genêt épineux, des houx rabougris, un pin à qui le sol n’a pas donné assez de nourriture pour s’élancer et qui rampe plutôt qu’il ne s’élève, ou bien, mais plus rarement, un chêne solitaire, trapu et robuste, le seul ombrage de ce désert, se détachent du milieu de ce tapis et y dessinent des figures gracieuses. Des chemins creux, où les chariots s’enfoncent dans le sable, conduisent dans le Derbyshire. Ailleurs, des allées d’un sol ferme, couvertes de ce fin gazon anglais dont le marcher est si doux, permettent la promenade à travers la lande, au milieu des moutons qui paissent, des deux côtés du chemin, le peu d’herbe savoureuse qui pousse entre les bruyères. Quand le soleil est voilé, ou le soir, quand la chaleur est tombée, il n’y a rien de plus charmant qu’une promenade sur cette pelouse : c’est le plaisir mélancolique de la solitude dans le voisinage et sous la protection de la nature cultivée.

La bruyère de Sherwood était une des nombreuses clairières de cette forêt de Sherwood qui, au temps de Richard Coeur-de-Lion, couvrait toute cette partie de l’Angleterre. Elle était alors infestée de braconniers, outlaws, qui s’y nourrissaient au dépens du gibier du roi. Walter Scott en a fait le théâtre de quelques scènes d’Ivanhoé. Il y a placé la cellule où le plus joyeux des compagnons de Robin Hood, sous le nom et le capuchon du saint ermite de Copmanhurst, défiait les gardiens des forêts royales. C’est là que se passe cette scène si plaisante où Richard, sous le déguisement du Chevalier Noir, vient demander l’hospitalité au faux ermite. Il frappe ; l’ermite fait semblant de ne pas entendre ; il ouvre enfin, et il offre à Richard, affamé par une longue route, une assiette de pois chiches, et pour boisson une cruche d’eau ; mais Richard est plus avisé que les gardes-chasse de Sherwood :