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ou la popularité du moment recommandait à la curiosité des bibliophiles et des hommes d’études. Rien n’atteste mieux cette impartialité du roi que la longue liste des souscriptions destinées à venir successivement prendre place dans la bibliothèque du Louvre. À côté des noms les plus accrédités dans le parti conservateur et monarchique, on peut y lire les noms de Ledru-Rollin, Cormenin, Lamennais, Marrast, Pierre Leroux, Louis Blanc, Raspail, Michelet, Vaulabelle, Quinet, Considérant, etc., de tous ceux enfin qui, vaincus dans les sphères élevées de la discussion politique et de la morale sociale, appelaient par avance à leur aide la brutalité des masses. Je me hâte d’ajouter qu’il n’était pris qu’un seul exemplaire de ces œuvres de désorganisation, les souscriptions n’ayant pour but que de tenir la bibliothèque du Louvre au courant de tout ce qui pouvait intéresser le mouvement de l’esprit humain. Il arriva un jour où cette inaltérable impartialité mit Louis-Philippe aux prises avec la diplomatie et embarrassa son ministre des affaires étrangères. Fidèle aux intentions du roi relativement à l’acquisition des livres destinés à la bibliothèque du Louvre, j’avais souscrit à l’ouvrage intitulé La Russie en 1839, par M. de Custine. On se rappelle le retentissement de ce livre en Russie et en France ; l’éditeur s’était d’ailleurs empressé, comme à l’ordinaire, de faire publier dans les journaux la souscription royale ; le Moniteur avait innocemment répété les journaux. Le jour même où la feuille officielle avait parlé, le ministre de Russie signala au ministre des affaires étrangères cette souscription comme un mauvais procédé envers l’empereur de Russie. Le roi me manda près de lui. Pour donner une explication satisfaisante, il suffisait d’exhiber la liste des souscriptions aux livres ou aux libelles les plus hostiles à sa politique et à sa personne. « Je le vois bien, me dit le roi, il faut que je demande à l’empereur de Russie de me passer M. de Custine en considération de MM. Lamennais et Cormenin. »

Le roi employait à l’accroissement de ses bibliothèques un crédit annuel considérable, et, de même que nous avons traduit en chiffres les sacrifices qu’il n’avait cessé de faire pour enrichir le domaine de l’état en améliorant la dotation immobilière de la commune, il nous est facile de mesurer ici les efforts de chaque aimée en faveur des arts, des lettres et de l’industrie par les dépenses que lui coûtaient les établissemens placés sous son patronage aux termes de la loi de 1832, ou qu’il avait créés lui-même. Pendant le cours de son règne, Louis-Philippe a alloué aux musées, aux manufactures royales, au service du mobilier de la couronne, aux haras et aux bibliothèques une somme de 50,868,000 fr., soit en moyenne par année à peu près 3 millions. Les calomniateurs de Louis-Philippe, victorieux en 1848, ont réduit ce