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gaiement à toutes les femmes de la cour de France. Je regrette pourtant qu’il ne demande pas à Marguerite les nœuds de rubans, les écharpes et les boucles de cheveux dont elle s’est chargée pour lui. On me répondra qu’il doit être blasé depuis long-temps, que des succès si nombreux et si faciles doivent avoir perdu toute saveur : cette réponse ne me contente pas.

Quand il s’agit d’emporter en France l’acte d’abdication, Marguerite imagine un stratagème qui me ravit par sa nouveauté. Charles-Quint achève ses dépêches, et Babieça, l’époux malheureux de Sanchette, attend que sa majesté impériale et royale les ait scellées du sceau de ses armes. Toutes les lettres sont arrêtées par Guatinara, toutes, hormis, bien entendu, les lettres de sa majesté. Que fait alors Marguerite ? Elle montre à Charles-Quint un conte qu’elle n’a jamais écrit, un conte de Voltaire, Ce qui plaît aux dames, et prie l’empereur de le mettre sous enveloppe avec ses dépêches pour Louise de Savoie ; puis, sous prétexte de corriger une phrase défectueuse, elle substitue adroitement au conte l’acte d’abdication. Il est impossible d’opérer avec plus de prestesse : Robert Houdin serait jaloux de Marguerite.

L’entrevue de Charles-Quint et de François Ier exciterait, j’en suis sûr, une vive admiration sur le boulevard du Temple. Pourquoi faut-il que cette mémorable entrevue ait été offerte aux spectateurs de la rue Richelieu ? Elle n’a pas été estimée ce qu’elle vaut. J’espère bien que M. Scribe ne se tiendra pas pour battu, et reproduira cette entrevue sous une forme nouvelle. François Ier prisonnier de Charles-Quint, battu à Pavie pour son étourderie, pour son ignorance de l’art militaire, battu par les généraux de Charles-Quint, accuse le vainqueur de lâcheté et le défie en combat singulier. Cette fanfaronnade est parfaitement ridicule, mais elle fait de François Ier un héros accompli, et sans doute cette gloire suffit à M. Scribe. L’histoire, il est vrai, parle d’un défi adressé à Charles-Quint par François Ier ; mais les deux adversaires étaient séparés l’un de l’autre par tout l’espace compris entre Madrid et Chambord ; si le ridicule n’était pas amoindri par l’éloignement, la provocation du moins n’offrait pas les mêmes dangers.

Quant au dénoûment imaginé par M. Scribe, il laisse bien loin derrière lui les inventions les plus hardies qui se sont produites au théâtre depuis cinquante ans. François Ier a refusé de s’échapper sous la robe d’un moine : un roi de France peut être vaincu, ridicule jamais. Les historiens espagnols nous apprennent pourtant qu’il a voulu fuir en prenant les habits d’un nègre qui apportait du bois dans sa chambre, et nous donnent même le nom du valet qui a révélé le projet d’évasion. Si Clément Campion n’eût pas été souffleté par Guillaume de La Rochepot, peut-être le roi de France se fût-il échappé sous le costume d’un nègre. Entre le capuchon d’un moine et la nécessité de se