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Tous les rapports des pouvoirs publics et des hommes politiques sont sans doute dominés aujourd’hui par le fait révolutionnaire. Nul, hélas ! ne l’ignore, il n’y a point de droit en tout cela, et si l’on a quelque chance de constituer quoi que ce soit d’un peu durable, c’est en couvrant le plus long-temps possible cette absence de droit par de bons dehors. Déchirer au contraire tous les voiles dans l’entraînement d’une rivalité jalouse, éclairer à plaisir les impossibilités que le fait révolutionnaire a de tous côtés amassées sous nos pas, qu’est-ce enfin, sinon l’aggraver encore ?

Personne ne demande que M. le président de la république et M. le général Changarnier vivent dans une intimité parfaite : il y a des positions où l’on n’est point placé pour devenir intimes ; mais personne non plus n’oserait dire que la mission qu’ils ont reçue tous deux, à titres divers, de la confiance publique soit de hâter par leurs brouilles un dénoûment qu’ils ne sauraient eux-mêmes exactement prévoir, et qu’ils feraient mieux, en tout cas, de ménager par leur union. Quel plus sûr moyen de rendre ce dénoûment coûteux et funeste, que d’achever de persuader aux partis et même aux factions, par une conséquence trop facile à déduire, que la force seule dictera la loi du dernier moment ! Et comment échapper à la rigueur de cette conclusion, quand on voit ceux qui devraient donner l’exemple de la modération et de la patience rompre, pour de médiocres griefs, la sécurité précaire au sein de laquelle on voudrait s’oublier, et déchaîner dès à présent toutes les angoisses d’une veille de bataille ?

Quand le général Changarnier exige le renvoi du général d’Hautpoul, quand le président de la république retire, malgré les instances impétueuses du général Changarnier, le commandement du général Neumayer, le dernier argument qu’il y ait derrière les rancunes réciproques si imprudemment accusées, c’est, avec une évidence trop désastreuse, un recours à la force. Voilà ce que tous les honnêtes gens ne peuvent supporter sans gémir, et il n’est point de si grands services rendus aux pays qui ne soient chèrement compensés par ce triste spectacle qu’on lui offre. Et puis enfin il devient dur de voir toutes ces brigues qui se succèdent à propos des commandemens militaires, grands ou petits, toutes ces ardentes compétitions des grosses épaulettes. Les lois les plus rigoureuses sont moins fatales aux libertés civiques que ces ambitions de soldat qui vont loin, pour peu qu’on leur donne carrière. Nous souffrons d’avoir à faire cette remarque, mais il est difficile que les chefs de l’armée ne sentent pas et ne s’exagèrent même pas leur importance à la manière dont tous les partis sollicitent leur bras. Ne nous parle-t-on pas maintenant d’une gauche militaire ? Nous avons pour sûr aussi des épées dans la droite. Sommes-nous donc destinés à voir un jour ces épées de généraux tirées de toutes parts se croiser sous les yeux de la France muette, immobile et soumise d’avance au vainqueur ? Il n’y a pas de si lamentable perspective que ne justifie l’incident lui absorbe encore à cette heure tout l’intérêt public.

Les affaires d’Allemagne sont cependant assez graves pour qu’elles dussent, en un autre moment, appeler la meilleure part de notre attention. Toutes les troupes des états germaniques ont été mises sur pied. La Prusse a pris rapidement et sans bruit une position qui, pour être très étendue, n’en est pas moins très forte. Ses corps détachés dans le duché de Bade et dans les principautés d’Hohenzollern se rallient, par le Rhin et par Coblentz, à l’armée principale,