Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/58

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de commandement, annoncent l’homme de naissance, celui que la tradition fait comte d’Huntington. Le côté plaisant et populaire de l’homme aux mille déguisemens, du diseur de bons mots, manque au caractère de Locksley. Le personnage n’est pas complet, parce que le roman n’a pas été fait pour Robin Hood. Les vrais héros sont Ivanhoé et Richard.

Le complément nécessaire d’un pèlerinage dans la forêt de Sherwood, c’est une lecture d’Ivanhoé. J’ai donc relu Ivanhoé. Je craignais mes souvenirs. La mode a bien un peu surfait les romans de Walter Scott ; elle en a dérobé les longueurs, les descriptions trop fréquentes, les conversations un peu diffuses. Elle a parfois mis les choses curieuses au-dessus des choses vraies. Le temps a changé cet ordre, et, en faisant reculer au second plan ce qui n’était que curieux, il a mis au premier ce qui fait l’éternelle nouveauté des livres, la vérité des caractères et des passions. L’habillement archéologique des personnages est un peu fané ; mais rien ne s’est effacé des vives couleurs dont Walter Scott a peint les choses humaines, non plus que de la gloire qu’il a eue de les peindre d’un pinceau resté toujours chaste en étant toujours vrai. Pendant près de vingt ans, les romans de Walter Scott ont fait la joie du monde civilisé, et, chose plus digne d’envie, ils n’ont gâté personne. Il n’y a guère d’exemples, dans l’histoire des lettres, d’un succès si pur ni d’une popularité ainsi formée de l’approbation secrète de tous les bons sentimens de l’homme. Depuis que les dernières épreuves de la France et de l’Europe nous ont fait revenir avec tristesse sur les idées et les écrits qui ont été populaires dans la première moitié du siècle, depuis que l’esprit est forcé de suspecter l’esprit, et les idées d’accuser les idées, il ne s’est pas trouvé un blâme pour les aimables écrits de Walter Scott. Dans ce déchaînement de doctrines malfaisantes contre lesquelles nous luttons, il n’en est pas une qui puisse s’honorer d’avoir été professée par lui ni s’autoriser d’une ligne écrite de sa main : belle et douce gloire d’un homme supérieur qui a pu plaire sans corrompre, amuser les esprits sans les rendre frivoles, les instruire sans les désenchanter ! Il n’est pas un lecteur cultivé, dans l’Europe contemporaine, qui ne lui ait la reconnaissance de quelques bonnes heures passées au sein d’un idéal aimable et familier. Il a su nous intéresser au passé et ne point nous dégoûter du présent, nous faire voir des scènes de grandeur, de bonheur, de gloire, et ne point nous inspirer l’envie, nous faire lire des romans et ne point nous rendre romanesques, nous faire aimer l’idéal et ne point nous entêter de chimères. Non, la gloire même du Télémaque n’est pas aussi bienfaisante. Trop de subtilité s’y mêle aux douces peintures de la vérité, trop d’utopie nous y dispose à être difficiles et chimériques sur les gouvernemens, et j’en craindrais presque plus le romanesque pour certaines