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réplique. Ce fut l’avis de tous les artistes spécialement versés dans l’étude des maîtres. Ainsi M. Jesi, dont la pointe souple et vigoureuse a si merveilleusement traduit le portrait de Léon X, M. Jesi, le religieux interprète des moindres finesses du pinceau de Raphaël, déclara sans hésiter qu’à ce pinceau seul pouvait être due la fresque de S. Onofrio, et telle fut son admiration pour ce nouveau chef-d’œuvre, qu’immédiatement il en entreprit la gravure. Tous les vrais connaisseurs florentins confirmèrent son jugement. Un homme d’autant d’esprit que de savoir, M. Selvatico de Padoue, écrivit à ce sujet quelques pages d’excellente critique. Plusieurs artistes italiens ou étrangers prirent la plume à son exemple : ainsi M. de Cornelius, le célèbre peintre de Munich, M. Bezzuoli de Florence, M. Minardi de Rome[1], se firent un devoir d’adresser à MM. della Porta et Zotti, non-seulement un témoignage public de reconnaissance au nom des amis de l’art, mais un exposé des nombreuses raisons qui les forçaient à voir dans cette fresque l’œuvre du peintre d’Urbin.


II

Malgré ces preuves répétées, malgré ces autorités souveraines, une partie du public demeurait en suspens. Comment croire, disait-on, qu’une œuvre de Raphaël, et une œuvre de cette importance, ait pu rester inconnue dans Florence pendant trois cent quarante ans ? Comment ni Vasari, ni Bocchi, ni Comolli, ni aucun de ceux qui, à diverses époques, ont fouillé et décrit les trésors de la peinture toscane, comment Richa, qui, dans son histoire des églises florentines, parlé si longuement du couvent de S. Onofrio, auraient-ils ignoré ou négligé de nous apprendre que cette muraille portait l’empreinte de ce divin pinceau ?

Assurément, cela est étrange ; mais ce qui ne l’est guère moins, c’est que ni Vasari, ni Richa, ni personne n’ait parlé de ce tableau, quand même Raphaël n’en serait pas l’auteur. Celui qui l’a créé, n’eût-il jamais fait autre chose, valait certes bien la peine qu’on nous apprît son nom. Ainsi, quelque parti qu’on prenne, le problème reste à peu près le même. Il s’agit d’expliquer comment, pendant trois siècles, un chef-d’œuvre a pu exister dans Florence sans qu’aucun écrivain en ait dit un seul mot.

Mais d’abord les oublis de ce genre sont-ils aussi rares qu’on paraît se l’imaginer ? Pour ne parler que de Vasari, croit-on qu’il ait dressé l’inventaire authentique et complet de toutes les œuvres de Raphaël ?

  1. N’oublions pas non plus M. de Garriod, amateur distingué, demeurant à Florence, et auteur d’un piquant écrit sur ce même sujet.