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Peut-on déterminer l’époque où cette agrégation prit naissance ? Dès le XIIIe siècle, au temps de Cimabuë, il y avait à Pérouse des peintres en renom, et Dante parle d’Oderigi, né à Agobbio, petit bourg voisin de Pérouse, presque comme s’il parlait de Giotto lui-même :

… Non se’ tu Oderigi
L’onor d’Agobbio e l’onor di quell’ arte…

On pourrait donc attribuer à cette école une longue généalogie, mais à quoi bon ? Elle n’a vraiment commencé que le jour où elle s’est frayé une route à part, c’est-à-dire un peu avant la moitié du XVe siècle. Jusque-là, la peinture étant partout exclusivement religieuse et mystique, il n’existait réellement dans toute l’Italie qu’une seule école, et les peintres ombriens s’y confondaient comme tous les autres. Quelques hommes supérieurs pouvaient bien, même alors, imprimer à leurs œuvres un cachet d’individualité ; mais la peinture proprement dite ne consistait qu’en un procédé presque uniforme, destiné à reproduire des types consacrés.

Du moment où parut Masaccio, tout fut changé. De cette chapelle de l’église des Carmes où s’était manifesté son génie allait sortir une véritable révolution. Non-seulement Masaccio avait regardé la nature, non-seulement il l’avait rendue du premier coup avec une fidélité et un bonheur dont les plus grands artistes, près d’un siècle plus tard, sont venus, dans cette chapelle, étudier le secret, mais il l’avait regardée d’un œil purement humain, et, en la traduisant sans idéal, il avait sécularisé la peinture. De ce jour, l’art italien fut coupé en deux deux tendances, deux doctrines, deux écoles véritablement opposées se disputèrent son domaine, et l’admiration des hommes se partagea entre la pureté angélique de Jean de Fiesole et la vérité humaine de Masaccio.

Si nous ne voulions pas être bref avant tout, si nous pouvions ne rien omettre, il nous faudrait chercher près d’un siècle auparavant les premiers germes de cette révolution. Giotto, ce grand novateur, ne s’était pas contenté, comme son maître, de peindre des madones et des crucifix. En se lançant avec prédilection dans les légendes, en se hasardant même à faire des portraits, il avait ouvert et frayé lui-même la voie qui se détourne de l’idéal ; mais comme dans cette route on ne le suivit qu’en tâtonnant, comme le mouvement de son siècle resta, malgré son influence, purement religieux et mystique, il nous est bien permis de ne constater le mouvement nouveau que lorsqu’il se produit et se manifeste au grand jour, lorsqu’il est compris de tous, lorsque sur les traces de Masaccio s’élance la foule des imitateurs.

On venait donc d’apprendre à Florence qu’en s’inspirant de la seule nature, sans ravir les ames au ciel, sans sainteté, sans extase, par la