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et remplaça, dans ses admirables légendes, l’idéal de la pensée chrétienne par une gracieuse et touchante bonhomie.

Mais, comme il était dans la destinée de la peinture italienne de ne tomber en véritable décadence qu’après s’être élevée à de nouvelles hauteurs et avoir fait connaître au monde la plus parfaite expression de la beauté moderne, il fallait que l’élément suprême de cette beauté, l’élément spiritualiste, ne disparût pas si tôt. Aussi, pendant que Florence presque tout entière sacrifiait aux faux dieux, on vit, dans la contrée des saints pèlerinages, aux alentours du tombeau de Saint-François d’Assise, et comme suscitée par sa vertu miraculeuse, se former, en dehors des cloîtres, une milice volontaire, marchant comme à la croisade, pour sauver l’idéal et défendre la tradition. C’était cette école ombrienne qui jusque-là ne s’était point révélée ; c’étaient Gentile de Fabriano, élève de fra Angelico lui-même, Benedetto Buonfiglio de Pérouse, Fiorenzo de Lorenzo, Nicolo de Fuligno, et bien d’autres encore, instruits, pour la plupart, chez les maîtres miniaturistes de Pérouse et d’Assise, à ne chercher leurs inspirations que dans le cercle restreint des sujets exclusivement chrétiens. Quelques-uns, comme Gentile, par exemple, ne se contentèrent pas de répandre dans leurs montagnes les produits de ces inspirations, ils les colportèrent dans toute l’Italie, à Venise, à Naples, à Milan. Malheureusement, parmi ces missionnaires pleins de foi et même de talent, comme Vasari est obligé d’en convenir, il n’en était aucun qui pût agir sur les masses par l’ascendant d’une véritable supériorité. Ils étaient suffisans pour empêcher le feu sacré de s’éteindre, mais ne parvenaient pas à le ranimer. Cet honneur était réservé à Pierre Vanucci, à celui que la postérité a surnommé le Pérugin.

Tout le monde connaît ce grand artiste. Ses tableaux conservent encore un tel charme aujourd’hui, que ses contemporains, même les plus endurcis, ne pouvaient y rester insensibles. Il osa descendre à Florence, et ses gracieuses créations, moins pures, moins élevées, moins célestes que celles de fra Angelico, mais aussi chastes, aussi attachantes et plus vigoureusement peintes, réveillèrent dans bien des cœurs l’amour mal éteint des choses saintes. Les novateurs se sentirent atteints ; on le voit aux calomnies et aux sarcasmes qu’ils lancèrent au nouveau venu, et dont Vasari, plus d’un demi-siècle après, se faisait encore l’écho brutal et acharné. Le Pérugin soutint le choc avec constance, et remporta, même à Florence, les plus éclatantes victoires : Conduit à Rome par sa renommée, il y fut comblé de biens et d’honneurs, mais n’en voulut pas moins retourner dans ses montagnes pour fonder et consolider cette école qui devenait sienne, et qui poussait déjà de nombreux et vigoureux rameaux. Soutenu par des élèves tels que Gerino de Pistoïa, Luidgi d’Assise, Paris Alfani, Pinturrichio, le Pérugin,