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par son excellence. C’était une enfilade de pièces et de salons plus ou moins vastes, plus ou moins richement meublés, mais sans aucune espèce de luxe extraordinaire, le maréchal ayant perdu, lors de la retraite de Milan, ses tableaux, sa vaisselle, son argenterie et tout ce qui constituait sa maison particulière. Çà et là circulaient encore des sereshans. Dans une salle voisine, plusieurs généraux jouaient au billard, parmi lesquels je remarquai, à son équipement d’une fantaisie des plus pittoresques, un jeune chef d’escadron d’un corps d’élite créé par le maréchal Radetzky : je veux parler de ces dragons d’ordonnance (Stabsdragoner), espèce de gendarmerie de campagne composée de tout ce que les divers régimens avaient de plus vaillant et de plus robuste en hommes, et, quant aux chevaux, de plus hardi et de mieux dressé. Il va sans dire que les officiers destinés à commander un pareil corps n’en devaient pas être à faire leurs preuves d’expérience et de bravoure. Pour nous en tenir au costume, il séduirait un peintre ils portent sur le pantalon gris une tunique noire à boutons blancs de métal, et leur sabre se distingue par sa forme presque droite, la pesanteur et l’ornementation de la poignée. Ajoutez à cela un chapeau relevé à droite par les bords et surmonté d’une touffe de plumes noires, et vous aurez, avec le manteau blanc que les officiers croisent sur leur poitrine à l’aide d’une ganse d’or, le costume complet de cette troupe, qui, par son caractère aventureux non moins que par l’étrangeté romanesque de son ajustement, rappelle les corps francs du moyen-âge. il est impossible, en effet, de voir, son bouquet de plumes au vent et son sabre dans son gantelet noir, un de ces officiers parader à la tête de son escadron, sans penser à ces fameux reîtres qui faisaient les beaux jours de la guerre de trente ans.

À mesure qu’on approchait du cabinet du maréchal, un peu de silence succédait à ce grand mouvement. Après le bruit de la place d’armes venait l’activité des bureaux ; c’étaient encore des officiers et des adjudans, mais faisant fonctions de chancellerie, et le cri de la plume rédigeant la dépêche vous reposait du cliquetis des sabres et des éperons. À en juger par les masses d’enveloppes qui jonchaient le sol, il y avait de la besogne ce jour-là. J’admirais surtout les titres interminables qui décoraient ces enveloppes. On a dit que le plus simple énoncé des titres et qualités du feld-maréchal comte Radetzky de Radetz ne saurait tenir en moins de douze lignes ; je ramassai une de ces enveloppes, et voulus compter, pour mon édification personnelle, les lignes du protocole : il y en avait dix-huit ; j’ajouterai que l’écriture était des plus serrées.

Tout à coup cependant la porte du cabinet s’ouvrit et laissa passer un petit vieillard d’une physionomie avenante et sympathique, allègre, familier, cordial, respirant la bonhomie et la vivacité sur la mine,