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reprenaient le pas. « Battons demain les Piémontais, disait Radetzky, la veille de la bataille de Novare, à ses grenadiers, qui lui reprochaient son obstination à se conformer à l’ancien règlement ; qui défendait de porter la barbe ; — battons les Piémontais de main de maître, et je vous promets de laisser pousser mes moustaches. »

Ces rapports entre les deux généraux nous avaient paru si frappans, qu’aussitôt après les complimens d’usage, nous ne pûmes nous empêcher de faire part de notre impression au maréchal : sur quoi le vieux Radetzky nous serra vivement la main, comme un homme à qui le parallèle devait déplaire d’autant moins qu’il nous offrait une occasion toute naturelle de lui transmettre un mot qu’un de nos amis avait retenu de sa dernière conversation avec le duc d’Isly. « Si la guerre civile éclate en France, avait dit le maréchal Bugeaud, je n’ai qu’une ambition, c’est d’en être le Radetzky. » Le propos alla droit au cœur du vieux guerrier ; il était facile de s’en convaincre à l’émotion de son visage. On se tromperait fort du reste à supposer chez l’étranger de l’indifférence à l’endroit de nos illustrations militaires contemporaines. Nos campagnes d’Afrique, en occupant l’activité victorieuse de notre jeune armée, ont attiré sur elle l’attention, je dirai mieux, l’intérêt de l’Europe, qui depuis n’a jamais manqué de s’informer de ses mouvemens et de son esprit, non plus que de l’expérience, des talens et du caractère de ses chefs, connus aujourd’hui partout et appréciés avec une rare justesse. Chose bien remarquable au milieu de la situation fâcheuse que tant de catastrophes et de coups de main nous ont créée au dehors, notre prestige militaire semble s’être agrandi de tout ce que nous avons laissé s’échapper du côté de la politique ; — c’est à notre armée qu’on paie ce tribut de respect et d’honneur que sur tout autre terrain on nous refuse. On ne saurait croire jusqu’où va cette préoccupation des illustres épées que les événemens ont mises chez nous en évidence, et, si de nos hommes d’état l’Europe ne parle guère, il faut dire qu’elle s’en dédommage sur le chapitre de nos généraux. Que le ban Jellachich, cette grande ame sympathique à tous les héroïsmes, à toutes les vertus, à toutes les gloires, s’informe ardemment de nos hommes de guerre et souhaite de les voir et de les connaître, naturellement cela s’explique ; mais ce qui ne laisse pas d’étonner quelque peu, c’est de voir dans un bal les jeunes filles quitter la valse (une Autrichienne quitter la valse !) pour vous demander des nouvelles du général Changarnier, et s’il ne viendra pas faire un tour à Vienne cet hiver ! Et penser qu’il fut un temps où cet intérêt et cet enthousiasme s’adressaient aux écrivains de la France, à ses artistes et à ses poètes ! O sort, ce sont là de tes jeux ! Mettez donc ensuite votre plume ou votre lyre au service des révolutions !

Aux yeux de Radetzky, le maréchal Bugeaud avait cet avantage immense