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Les soldats rendent au vieux maréchal l’attachement qu’il a pour eux. La popularité de Radetzky dans l’armée autrichienne est une chose dont on ne saurait avoir l’idée en France, à moins de remonter aux souvenirs de 1796, à cette époque où, sur ces mêmes campagnes lombardes qu’il a tant de fois victorieusement parcourues, le jeune général Bonaparte, premier consul, franchissait le Pô, et rendait le nom de Marengo à jamais immortel. Il y a chez les impériaux une coutume presque sacrée, à laquelle un jour de bataille ou de solennité quelconque nul régiment ne voudrait déroger : nous voulons parler de ces rameaux verts qu’on se met au chapeau, de ces bouquets de feuillage sans lesquels un Kaiserlich n’irait pas gaiement au feu, et qui donnent aux légions autrichiennes, à ces barbares blonds, je ne sais quelle physionomie étrange et poétique d’un pittoresque merveilleux. Lorsqu’au printemps une brise matinale agite ces milliers de palmes vertes frémissantes au milieu des baïonnettes, des sabres nus et des casques miroitant au soleil, le spectacle tient du prestige. Involontairement l’on songe à la dernière scène de Macbeth, et les fanfares de la musique autrichienne accompagnant cette forêt qui marche semblent donner un enchantement de plus au féerique aspect de ce défilé. Un jour de bataille donc, à Somma-Campagna ou Mortara, le nom importe peu, le maréchal, complimentant ses grenadiers sur leur bonne tenue, remarqua dans le nombre un bonnet à poil qui n’avait pas de rameau vert. « Holà, toi, s’écrie Radetzky, qu’as-tu fait de ton Feldzeichen ? est-ce que tu prétends par hasard ne pas suivre au feu tes camarades ? » À ces mots, le pauvre diable, troublé et confus, essaie de balbutier quelque excuse ; mais le maréchal l’interrompant : « Allons, avance ici, que nous partagions. » Puis, détachant de son chapeau de commandant en chef le trophée de campagne, il en coupe une branche qu’il donne au grenadier, lequel, au lieu de la fixer à son bonnet, l’enferme pieusement sous sa capote en répondant : « Excellence, je vais à l’instant me mettre en quête d’un autre Feldzeichen ; car, pour celui-ci, il restera sur mon cœur pendant la bataille, pour être enterré avec moi, si je suis tué. »

Le nombre ne peut se compter des légendes de cette espèce répandues sur le vieux caporal, et dans lesquelles Vater Radetzky apparaît avec cette physionomie humoristique que nous avons essayé de lui conserver, moitié soldatesque, moitié bonhomme, figure de vieux reître où le pathétique intervient, casaque de buffle sur un cœur d’or. Nous savons aussi bien que personne que les légendes ne font pas les héros ; de ce qu’on porte un petit chapeau et une redingote grise, de ce qu’on a adopté pour monture un cheval blanc sur lequel on mesure triomphalement le fameux échiquier de la Lombardie, il ne s’ensuit pas le moins du monde qu’on soit pour cela le général Bonaparte. Qui