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à Vienne par Venise au lendemain de sa soumission. L’empereur et l’archiduchesse Sophie avaient accueilli avec bienveillance les regrets de la fière cité réduite à demander merci, et, lorsque la députation arriva devant son altesse, froid et immobile comme il est toujours, le prince se laissa saluer, et de ce masque impassible comme la statue du Destin tombèrent ces paroles de fer : L’Italia si pentira !

En quittant le maréchal Radetzky, nous voulûmes visiter Vérone dans toutes ses directions, jouissant du mouvement si pittoresque qui l’anime, des points de vue véritablement merveilleux qu’offrent ses environs. Quel fleuve ravissant que l’Adige ! Descendu de la hauteur des monts, il vient s’encaisser délicieusement dans de fraîches collines boisées de cyprès et toutes peuplées de châteaux, traverse la ville, et se répand ensuite paisiblement au milieu des campagnes. Et ces palais qu’on rencontre à chaque pas ! ces hôtels, symboles de l’individualité d’une famille puissante, construits au hasard, selon le caprice du maître, sur l’éminence voisine, au fond d’une ruelle obscure, au bord du fleuve, sans règle, sans harmonie aucune, mais avec quelle incomparable variété ! Architecture adorable que réprouve inexorablement la symétrie moderne, mais qu’en revanche l’histoire et la poésie sauvegardent au nom des Scaliger, de Dante et de Roméo.

Nous avions parcouru de long en large ces places qu’un pan de granit crénelé couvre encore de son ombre féodale, ces marchés où se croisent, sous le cri des vendeurs et le tintement des grelots, des personnages de Titien et du Véronèse : celui-ci à pied, sa veste jetée sur l’épaule, sa ceinture de cuir autour des reins, un large feutre noir sur la tête, celle-là assise en impératrice sur un chariot traîné par deux buffles, cet autre enfin sur sa mule qui va l’amble. Tout en mesurant ces rues étroites et tortueuses, aux toits découpés en dentelles, aux balcons de fer tordu, aux murailles enluminées de fresques, nous nous demandions si d’aventure nous ne nous serions pas fourvoyés là en plein moyen-âge ; mais au tournant du premier carrefour la question devint inutile : nous ne nous acheminions plus vers le moyen-âge, nous y étions. Ces blocs énormes d’où se détachent en bas-reliefs des figures guerrières, ces masses de granit et de marbre, impérissables lits de parade sur lesquels d’héroïques géans dorment du sommeil de la mort, ces niches à colonnettes plus sveltes que la tige d’un palmier, abritant sous leurs coupoles ogivales la statue équestre des commandeurs de céans, ce caveau funèbre en plein air, ce jardin humide adossé à une église et clos par une grille merveilleusement épanouie en campanules fantastiques, c’était le champ de sépulture de la famille della Scala, c’était le tombeau de Can-Grande, qui fut seigneur de Vérone et ami de Dante !