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je vais au premier manuel qui se rencontre, et me borne à traduire : quatre cent soixante-quatre pieds de diamètre en long, trois cent soixante-sept en large : est-on content ? et faut-il ajouter les quarante-huit galeries qui règnent en cercle de la base au sommet, et vont s’élargissant toujours en amphithéâtre jusqu’au gradin suprême, où quatre-vingt-seize marches vous conduisent ? Je ne tenterai pas de rendre l’effet de cette vaste solitude granitique, vue ainsi de son point culminant, et dont le clair de lune étendait encore l’immensité. Autour de nous, tout est désert et silence ; pas un frémissement dans le vide, pas une ombre sur cette froide nappe blanche, où se confondent, noyés par le même rayon, le marbre des arcades et ces végétations vigoureuses poussées dans les interstices de la pierre, et qui d’en bas nous sembleront demain des touffes d’herbe. Au loin, une horloge de la ville sonne l’heure, d’autres lui répondent ; c’en est fait, et le silence se rétablit, plus profond, plus morne, plus lugubre. Derrière vous, la ville moderne endormie dans le néant de sa destinée ; à vos pieds, l’antiquité qui se réveille ! Ici, sur cette arène, comme sur les sables du Colisée, le christianisme a reçu le baptême de sang qui lui a valu la conquête du monde. Vous voyez ces arcades souterraines qui s’enfoncent dans l’ombre : c’est là qu’on retient et qu’on affame les bêtes féroces, là qu’on loge les combattans humains en attendant l’heure de la rencontre. Là, le lion rugit, le tigre aiguise ses crocs, le gladiateur espère, le chrétien prie. « Quelle perversité ! s’écrie-t-on, quel abrutissement ! quelle barbarie ! Où trouverait-on aujourd’hui un cœur assez féroce pour ne point se révolter à l’idée d’un spectacle dont le sang humain fait tous les frais ? »- Barbares en effet ces Romains de l’empire, barbares au milieu de leur luxe, de leurs raffinemens, de leur puissance, de leur amour effréné des jouissances et des arts, barbares à peu de chose près comme on l’est aujourd’hui en Europe ! N’avons-nous pas vu, l’autre mois, la spada par excellence, l’honneur et la gloire de ces fêtes de Madrid si célèbres et surtout, hélas ! tant décrites, n’avons-nous pas vu le beau, le noble, le divin Montés tomber vaincu à son tour sur cette arène si souvent rougie du sang de ses victimes ? Il est vrai que, le lendemain, la cour et la ville s’empressaient à la porte du virtuose éclopé, et venaient, ducs, marquis et grandes dames, faire amende honorable, en s’inscrivant banalement sur un registre, du plaisir et de l’intérêt qu’ils avaient pris la veille à son martyre dramatique.

Au temps du congrès, pour donner aux illustres personnages que la politique avait amenés à Vérone le spectacle de cet amphithéâtre rempli de monde, on organisa une loterie gratuite où tout entrant gagnait. Comme les habitans de la ville n’auraient pas suffi pour animer l’édifice, on traqua les habitans des campagnes ; le nombre s’éleva ainsi