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une justesse, une fantaisie qui vous émerveillent les plus brillans motifs des répertoires allemand, italien et français. Il est huit heures du matin ; nous touchons à peine aux premiers jours de février, et déjà les balcons s’ouvrent aux tièdes émanations de l’air ; tout à coup une vibration stridente emplit l’atmosphère : d’abord les clairons, puis les trombones et les cors, puis enfin toute l’artillerie de cuivre. La vitre tinte, le sol tressaille ; partout dans le quartier se répand je ne sais quelle commotion électrique, tant cette décharge de sons se marie harmonieusement à l’universel concert de la nature renaissante ; on dirait une note de plus dans l’orchestre, une voix de plus dans l’explosion de ce printemps du sud. Ce sont les grenadiers de Radetzky qui passent, musique en tête, le rameau vert au bonnet, l’aigle noire déployée. « Vers la nuit tombante arrivèrent quatre mille grenadiers du corps de réserve. Le bataillon s’avançait au pas de charge, et le maréchal, en les apercevant, murmura : Puisque mes grenadiers s’y mettent, l’affaire va se décider. » Ainsi parle le bulletin de Novare.

Aujourd’hui ils vont à la parade. Dans les conditions ordinaires, un régiment qui passe en chantant emmène avec lui tout ce qui se trouve de désoeuvrés sur son chemin. L’homme est un être essentiellement harmonieux ; partout où le rhythme commande, bon gré mal gré, il faut qu’il obéisse. Que n’est-ce point lorsque l’attrait d’une musique instrumentale comme on n’en rencontre que sur ce sol autrichien vous enlève pour ainsi dire à vous-même ! Ils marchent calmes et superbes, toutes fanfares dehors, et le motif qui règle leur pas est un motif d’Auber, charmante mélodie de la Part du Diable, qui, au milieu de cette Italie allemande ou de cette Allemagne italienne, vous pénètre au cœur comme un souffle aimé de la patrie française. Nous suivîmes ce régiment pendant plus d’un quart d’heure ; sorti des portes de la ville, il eut bientôt atteint Sainte-Lucie, où nous nous arrêtâmes, retenus par la célébrité du lieu. On le sait, les armes piémontaises essuyèrent à cette place un terrible échec vers la fin de la guerre de 1848. Exalté par les succès de Goïto et de Pastrengo, dupe d’ailleurs du mouvement de retraite de Radetzky sur I’Adige, Charles-Albert donna ordre à une partie de ses troupes de s’avancer sur Vérone. Cette fois encore, le malheureux roi devait porter la peine de cette manie qu’il avait de voir partout des insurrections au moment d’éclater à son profit. Les habitans de Vérone, exaspérés de la tyrannie des Autrichiens, n’attendaient, prétendait-on, que l’occasion favorable pour se soulever ; cinq mille Italiens, renfermés dans la place, voulaient déserter au premier coup de canon, et quatre mille Hongrois, instruits du mouvement libéral qui agitait leur patrie, refuseraient de se battre pour une cause détestée. « On n’imagine pas, nous disait le maréchal Radetzky, ce qu’une semblable fantasmagorie, sans cesse et à tout