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telle audace d’affirmation ne se peut comprendre. À quiconque dira qu’ils ont sauvé la France, sachons répondre, preuves en main, qu’ils l’auraient perdue, si on avait pu la perdre.

Je ne parviens point d’ailleurs, quelque bon vouloir que j’y mette, à m’incliner devant l’héroïsme du comité de salut public, et, lorsqu’on me convie à admirer le stoïque courage de Robespierre, de Saint-Just et de Couthon, je ne puis m’empêcher de penser que les triumvirs étaient placés entre la guillotine et la victoire, et que le soin de sauver leur tête ne les touchait pas moins que celui de sauver la patrie. Dans la carrière d’extermination qu’elle s’était donnée, la montagne n’avait pas à cette époque plus de quartier à attendre qu’elle n’était résolue d’en faire. À l’égorgement en masse prescrit par ses décrets, les vainqueurs auraient répondu par une expiation terrible. Les membres du comité de salut public défendaient manifestement leur propre vie contre l’arrêt rendu d’avance par la Vendée, par la gironde et par l’Europe ; or, j’imagine que nulle part on ne déploierait plus de ressources et une énergie plus indomptable que dans un cachot où des condamnés à mort auraient chance d’échapper par une lutte au bras des exécuteurs.

Pour se rendre un compte vrai des actes de cette époque, pour en apprécier, s’il est permis de le dire, la moralité politique, une observation préalable est nécessaire c’est que la terreur ne fut au fond qu’une œuvre de stratégie parlementaire. Le rapprochement des dates suffit en effet pour constater que les mesures les plus monstrueuses de cet épouvantable régime n’avaient pas pour fin la délivrance du territoire, déjà assurée lorsqu’on les décréta, et que les instigateurs de ces mesures se proposaient pour but unique, d’abord l’asservissement de la convention à un comité, puis l’asservissement de ce comité à un seul homme.

Nous avons rappelé qu’aux premiers mois de 1793 le parti jacobin, en prévalant au sein de la convention, avait amené l’insurrection des campagnes dans l’ouest, l’insurrection de la bourgeoisie dans le midi, enfin l’hostilité de toutes les puissances neutres, bientôt suivie de la perte de nos meilleures places de guerre et de la défection du généralissime de nos armées ; mais cette même année n’avait pas encore terminé son cours, que ces périls étaient conjurés. L’envoi de l’armée de Mayence dans l’ouest et le remplacement de chefs ineptes par de jeunes généraux du premier ordre avaient amené, sinon la pacification de la Vendée, du moins son impuissance. Écrasée au Mans, achevée à Savenay, l’armée royale ne menaçait plus, au commencement de 1794, l’existence du gouvernement républicain, et, s’il était entré dans la politique des comités de déférer au vœu unanime de leurs généraux en pratiquant un système habile de clémence au lieu d’un système d’extermination, l’incendie ne se serait pas rallumé de ses cendres.