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Croyez-vous qu’en aucun siècle une ville ait présenté l’aspect du Paris de ce temps-là ? Aux jours des Séjan et des Tigellin, Rome, occupée par les cohortes du prétoire, était livrée aux délateurs muette et désarmée. Le despotisme s’y produisait sous des formes discrètes, et son bras n’atteignait qu’aux têtes haut placées. Une trirème débarquant nuitamment des assassins sur les côtes de Campanie, un centurion allant porter à des consulaires l’ordre de mourir, ceux-ci s’ouvrant les veines au milieu des parfums après avoir testé en faveur du divin empereur, voilà tout ce que connaissait la ville impériale d’une tyrannie qui pourvoyait d’ailleurs avec une libéralité gigantesque à ses besoins et à ses plaisirs. À quelle distance de la Rome de Néron est le Paris de Robespierre ! Sous le régime des réquisitions et du maximum, la ville expire de misère et de faim ; l’échafaud s’y dresse en permanence pour les plus obscurs comme pour les plus illustres, et c’est à la clarté du soleil qu’elle est quotidiennement parcourue de l’une à l’autre extrémité par les charrettes du bourreau et les furies de la guillotine. Paris et ses tyrans sont à la discrétion de soixante mille gardes nationaux : depuis le supplice de Ronsin et la dissolution de l’armée révolutionnaire, ceux-ci forment la seule force publique existante dans la capitale ; il leur suffirait d’une heure de courage pour faire rentrer dans la poussière l’odieux pouvoir qui les décime, et on les voit, durant plusieurs mois, continuer de former la haie aux exécutions qui chaque jour viennent éclaircir leurs propres rangs !

Si les temps qui suivirent le 9 thermidor furent moins affreux, ils n’infligèrent pas à la France des humiliations moins douloureuses. De cette journée au 18 brumaire, à travers les crises de prairial, les journées de vendémiaire et l’attentat de fructidor deux fois renouvelé sur la représentation nationale, se déploie une période de désorganisation politique et d’abjection morale où éclate dans la faiblesse de tous les partis l’impuissance manifeste de la nation à se sauver elle-même. Le 9 thermidor avait été une journée sans caractère précis, et dont les conséquences n’étonnèrent personne autant que ses auteurs. Lorsqu’après la victoire remportée sur les dictateurs, on vit leurs vainqueurs redoutables, tout dégouttans encore du carnage de Lyon et de Bordeaux, ordonner la translation solennelle des restes de Marat au Panthéon et suivre ces impures reliques en hurlant les hymnes de mort, on put appréhender de les voir demeurer jusqu’au bout conséquens avec eux-mêmes. Telle était assurément la pensée du plus grand nombre ; mais en frappant les triumvirs, en écrasant la commune, qui les avait défendus jusqu’à la dernière heure, les thermidoriens, sans le soupçonner et sans le vouloir, avaient brisé pour jamais le ressort du pouvoir révolutionnaire. Celui-ci n’était possible que par la dictature, et, pour faire passer cette dictature en d’autres mains, il fallait