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presqu’île guérandaise ; mais il évita de répondre en feignant de croire que je lui demandais des détails sur sa nouvelle position. Convaincu, comme tous les Parisiens de naissance, que la civilisation française n’a pu dépasser la banlieue, il me déclara, avec une sorte de philosophique indulgence, que le pays était habité par des sauvages.

— C’est honnête et pas méchant, ajouta-t-il en haussant les épaules ; mais pour ce qui est des moyens, néant ! comme on écrit au rapport. Ça obéit toujours au maire, ça respecte le clergé ; hommes et femmes sont abrutis par la religion. Faudrait, voyez-vous, que la troupe de l’Ambigu vînt un peu leur jouer le Presbytère et l’Archevêché ; mais, bah ! les trois quarts ne savent pas seulement ce que c’est qu’un théâtre : ils vont à l’église, et ça leur suffit. Un vrai bétail, monsieur ! à peine s’il y a dans toute la commune une demi-douzaine de malins qui essaient de la fausse-saulnerie ; encore finissent-ils toujours par se faire pincer.

M. Content fit observer que la faute en était surtout au Parisien, qui déjouait toutes leurs ruses.

— Oui, oui, répliqua le douanier avec une certaine fatuité, quand je suis arrivé, ils croyaient me faire poser. Un Parisien, pensaient les malins, ça n’a jamais vu fabriquer le sucre des gueux, ça n’entend rien au métier, et nous pourrons faire un trou à la poche du gouvernement ! Mais moi, qui devinais la chose, je m’étais dit : — C’est bon ! vous verrez si on connaît les ficelles ! Voilà donc qu’à la première caravane de mulets, les plus vieux gare-devant fouillent et mesurent les sommes de sel. Rien de prohibé : — mes gredins de faux-saulniers riaient en dedans et allaient repartir, quand je me rappelle le Sonneur de Saint-Paul et les papiers cachés sous le bât. Pour lors, je fais dessangler, et qu’est-ce que je trouve ? partout du sel au lieu de bourre !

— Je vois que vous êtes trop fort pour ces pauvres gens ! dis-je en riant.

Le Parisien haussa les épaules.

— Mon Dieu ! non, répliqua-t-il avec une modestie triomphante ; mais on connaît son répertoire.

En causant ainsi, nous avions repris notre route vers le bourg. Les marais étaient couverts de travailleurs occupés à la récolte ; un seul restait désert, et, comme nous approchions, j’aperçus Pierre-Louis debout sur le bossis. À ma vue, il fit un geste désespéré en me montrant la ladure, où blanchissait à peine une écume salée.

— Quand on disait à monsieur que nous allions tomber sous le mauvais sort ! s’écria-t-il ; Jeanne a trouvé là-bas le petit Pierre malade, et moi je trouve ici ma saline qui échaude !

Je savais que les paludiers désignaient ainsi les marais dont la production s’arrêtait subitement, et j’avais été témoin ailleurs du même