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protestantes se réservaient le protectorat des Juifs et des païens du pays druse, la Russie s’emparait tout naturellement du vaste patronage de la communion grecque. La diplomatie russe se substituait ainsi dans tout l’empire ottoman à la diplomatie française. L’église latine n’a pas plus de six cent mille prosélytes en Turquie, l’église grecque en compte pour le moins quatre millions. Comment les grecs, forts de leur nombre et du concours hardi de la Russie, n’auraient-ils pas songé à faire la loi aux autres communions ? On pourra, comme sous le ministère de M. Guizot, obtenir des concessions partielles et temporaires ; mais le général Aupick a beau faire, il ne rendra point à notre pavillon l’influence qu’il a perdue à Jérusalem. Nos fautes ont fait trop beau jeu à la Russie : la place que nous avons laissée vide lui appartient désormais ; il lui faudrait, pour en céder, ne fût-ce qu’une partie, plus de désintéressement que l’on n’en peut exiger d’elle.

Nous l’ajouterons à regret, son influence religieuse en Orient, au lieu de diminuer, est en voie de s’accroître par la désunion des catholiques eux-mêmes, et peut-être par la désertion de quelques-uns. En général, le clergé latin ignore profondément l’état de l’église en Orient ; il semble n’avoir que de la répulsion et de la défiance pour les catholiques du rite grec. C’est à peine si leurs prêtres sont accueillis par les nôtres ; tout au plus sont-ils un objet de curiosité, heureux s’ils échappent au soupçon d’hérésie. C’est une justice à rendre au pape Pie IX, qu’avant les catastrophes qui sont venues le frapper dans ses intentions généreuses, il avait ouvert l’oreille aux avertissemens qui lui étaient donnés au sujet de l’église catholique d’Orient. Il avait, assure-t-on, promis, non-seulement d’étudier le déplorable abandon dans lequel on laisse les grecs-unis, mais aussi de nommer un cardinal de ce rite parmi les Slaves de Russie ou d’Autriche, afin de relever leur courage abattu. Autorisés par ces promesses dont les événemens ont jusqu’à ce jour retardé l’exécution, quelques membres du clergé français se sont eux-mêmes prêtés à l’érection à Paris d’une chapelle gréco-catholique slave qui se rattache à la même pensée. Les lazaristes, de leur côté, depuis quelques années très solidement établis à Constantinople, mieux instruits des choses de l’Orient, ont quelquefois dérogé à la froide réserve du clergé latin à l’égard de l’église grecque-unie. Cependant, trompés peut-être par la facilité avec laquelle ils ont obtenu la liberté de se fixer et d’agir dans l’empire ottoman, ils ont écouté leur zèle encore plus souvent que la prudence ; eux aussi quelquefois se sont mépris sur les conditions réciproques de la bonne entente de ces peuples avec Rome. En résumé, l’église romaine ne sait pas assez ménager la susceptibilité nationale des grecs-unis, et si elle n’y prend garde, elle perdra peu à peu l’autorité qu’elle a conservée chez eux jusqu’à ce jour.

La querelle survenue il y a quelque temps à Constantinople et encore aujourd’hui pendante entre les Arméniens catholiques et leur primat est une preuve irréfragable de cette regrettable disposition de l’église romaine. Le primat des Arméniens appartient à la Propagande de Rome. Élevé à Rome comme un grand nombre de jeunes étrangers que la Propagande y attire, afin de les renvoyer plus tard dans leur pays pour y être les agens de sa pensée, il s’est de bonne heure, par cette raison même, rendu suspect de latinisme auprès de ses corn citoyens. Chaque fois d’ailleurs que l’occasion s’en est présentée, il n’a point