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REVUE. — CHRONIQUE.

brillé, à demeurer fidèles à elles-mêmes, à leurs traditions, à cette délicatesse ingénieuse, à cette sûreté de goût, à cette humeur charmante dont elles ont laissé la trace lumineuse dans la civilisation française, et, ajouterai-je, à se faire le moins possible les missionnaires d’une religion quelconque, fût-ce même en n’admettant que le meilleur des livres, — la Bible, parmi leurs provisions de voyage ? Entre Mme  Aulnoy, cette spirituelle touriste du Versailles de Louis XIV, et l’auteur du Journal d’un Voyage au Levant, près de deux siècles se sont écoulés ; bien des causes sociales qui, au XVIIe siècle, tendaient à faire du voyage d’une femme du monde et d’une femme d’esprit une choses exceptionnelle ont disparu, la face même des pays a changé. Ce qui devrait bien n’avoir point disparu pour notre gloire et notre enchantement, ce qui n’a perdu ni de son à-propos ni de son intérêt, c’est cette grace facile de verve et d’observation digne d’être rappelée de nos jours, et auprès de laquelle pâliraient assurément les déclamations, les prétentions à la science, les prédications de tout genre, les élans lyriques, les enthousiasmes factices, qui sont trop souvent le piège de nos contemporaines abusées. Ch. de Mazade.


Le Roman de la Charrette, d’après Gauthier Map et Chrestien de Troies[1]. — La poésie du moyen-âge, qui a si vivement préoccupé l’érudition du XIXe siècle, continue à être l’objet de laborieuses et persévérantes recherches. On sait combien d’études spéciales ont été publiées sur ce point, combien de monographies ont été entreprises, combien de manuscrits précieux arrachés à la poussière des bibliothèques. Il s’en faut bien que ces travaux soient toujours ce qu’ils devraient être ; les défauts de la littérature courante, la légèreté, la précipitation et même un certain charlatanisme ont trop souvent envahi ces calmes domaines de la science. Heureusement pour le succès défailli de ces tentatives diverses, une illustre et savante compagnie est occupée en ce moment même à y porter la lumière d’une critique sérieuse. L’Académie de inscriptions et belles-lettres, chargée de continuer le vaste monument dont le bénédictins du dernier siècle ont posé les assises, va mettre bientôt sous presse le vingt-deuxième volume de l’Histoire littéraire de la France. Une foule de questions importantes ont déjà été résolues dans cette publication que notre pays connaît si peu, et que toute l’Europe savante nous envie ; le volume, qui achèvera le tableau du XIIIe siècle, reviendra avec de nouveaux et inappréciables documens sur les problèmes les plus compliqués de cette grande époque. Les ardens débats soulevés à l’occasion de la poésie provençale, question de savoir si les romans en prose ont précédé les poèmes, la part qui revient à la France du midi et à la France du nord dans cette littérature inépuisable qui a alimenté l’Europe du XIIIe siècle, tout cela sera éclairé d’une vive lumière par les travaux inédits de M. Fauriel, par la science philologique M. Littré, de M. Paulin Pâris, de M. Lajard, par la critique patiente et la sûre direction de M. Victor Leclerc. En attendant que nous puissions rendre à ce grand travail l’hommage qui lui est dû, nous voulons signaler rapidement un excellent mémoire qui a obtenu les encouragemens de l’Académie des inscriptions, et qui fournit des renseignemens intéressans pour l’histoire des lettres françaises au moyen-âge.

L’auteur de ce mémoire est un Hollandais, M. le docteur Jonckbloet, profes-

  1. Publié par le docteur W.-J.-A. Jonckbloet. La Haye, 1850, chez Belinfante.