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spécial et tout un ensemble de preuves que ne donne pas le savant mémoire dont nous parlons. Nous inclinerions même, s’il faut le dire, vers la solution opposée. M. Paulin Pàris a très bien montré qu’il s’est accompli, vers la fin du XIIe siècle, une complète révolution dans la poésie. Nombre de vieux poèmes, dont la rudesse ne convenait plus à la culture nouvelle des esprits, ont été refondus par les trouvères du temps de Philippe-Auguste, et présentés à une société plus délicate sous une forme neuve et brillante. C’est là une curieuse découverte, désormais acquise à l’histoire littéraire. Le poème de la Chanson d’Antioche, refait et rajeuni au temps de saint Louis par le trouvère Graindor, est un des plus intéressans exemples de ces révolutions de la poésie et du langage au sein d’une époque dont nous ne sommes guère habitués à distinguer les phases diverses. Pourquoi les poèmes chevaleresques de la Table-Ronde ne seraient-ils pas aussi une confirmation de cette règle ? Pourquoi ces rédactions en prose, qui ont précédé les œuvres de Chrestien de Troies, ne seraient-elles pas elles-mêmes une transformation de poèmes plus anciens ? Nous soumettons ces simples demandes à M. Jonckbloet. Les savantes recherches dont son mémoire est rempli prouvent qu’il comprend tous les problèmes de cette vieille littérature, et, après les résultats qu’il a obtenus, il est permis de lui signaler des difficultés nouvelles.

Ce n’est pas seulement l’introduction de M. Jonekbloet que nous avons voulu recommander au public français ; le texte hollandais du Lancelot qu’il a publié contient des choses très précieuses pour nous. Ce sont, par exemple, des fragmens du cycle d’Arthur, qui ont disparu de nos bibliothèques, ou qui du moins ont échappé jusqu’ici à toutes les investigations. Le traducteur hollandais, d’après l’usage du temps, a inséré dans son texte maints épisodes de cette épopée amoureuse et chevaleresque, de ces brillantes Mille et une Nuits du moyen-âge. Il nous a révélé ainsi des richesses que nous pensions perdues ; elles n’étaient que dérobées aux regards sous les voiles de la vieille langue hollandaise. M. Jonekbloet, qui aime la France et qui se sert assez facilement de notre idiome, nous doit la traduction de ces documens. Si nos paroles le décidaient à entreprendre ce travail, nous serions heureux d’avoir attaché à notre pays, par un lien de plus, un esprit laborieux et modeste qui peut apporter un utile concours au débrouillement de nos origines littéraires.

S.-R. TAILLANDIER.


AVENIR DES ARMÉES EUROPÉENNES, par M. le général Roguet[1]. — La guerre des rues avait, et depuis trop long-temps, ses annales : elle devait avoir aussi sa théorie répressive. M. le général Roguet vient d’écrire sur cette triste matière un livre utile et pratique. En traitant un sujet qui réveille dans tous les cœurs des souvenirs douloureux, l’auteur a voulu oublier que ses préceptes militaires pussent jamais devenir applicables en France : c’est aux armées européennes qu’il s’est adressé, et les leçons qu’il donne sont de celles qu’on a intérêt à méditer en tout pays. Aux hommes d’ordre, ce livre doit inspirer une sécurité nouvelle, en leur apprenant jusqu’où peuvent aller les ressources de la répression ; — aux révolutionnaires incorrigibles, il démontre, avec la précision de la science, que les émeutes, les tours de main, n’ont plus de chances de succès au milieu de sociétés trop cruellement averties. Dans un rapide histo-

  1. Un fort vol. in-32, chez J. Dumaine, rue et passage Dauphine, 36.