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la force des choses lui assignait. Quant à l’initiative, l’honneur n’en revient de fait ni à l’un ni à l’autre. Nous allons voir la secousse révolutionnaire passer en quelque sorte fatalement de haut en bas à travers tous les degrés de l’ancienne société coloniale, et, à chaque temps d’arrêt qui se manifestera dans la transmission de ce mouvement, la métropole intervenir pour l’accélérer.

La véritable initiative révolutionnaire[1] appartient ici aux planteurs. Non moins imprévoyans que l’aristocratie métropolitaine, bien qu’au fond plus logiques, ils avaient chaleureusement accepté et patroné les idées d’où sortit 1789. L’affaiblissement de l’autorité monarchique, c’était, avant tout, pour eux le relâchement d’un système qui les excluait des hautes positions coloniales, et forçait leur orgueil et leurs habitudes de despotisme à s’incliner devant le pouvoir quasi-discrétionnaire des agens de la métropole. L’égalité civique, c’était l’assimilation complète de la colonie à la France, le libre exercice des moyens d’action que leurs immenses richesses semblaient leur assurer. C’est dans ce sens qu’ils interprétèrent la convocation de nos états-généraux. Sans attendre l’autorisation du gouvernement, les colons se formèrent en assemblées paroissiales et provinciales, et envoyèrent à Paris dix-huit députés, qui furent admis les uns en titre, les autres comme suppléans. Surexcitées par ce premier succès, ces prétentions à l’égalité politique et administrative se transforment bientôt, dans l’aristocratie coloniale, en pensée ouverte d’indépendance. Les assemblées provinciales délèguent la direction des affaires intérieures de la colonie à une sorte de convention qui se réunit à Saint-Marc, et celle-ci, où dominait l’influence des planteurs, déclare se constituer en vertu des pouvoirs de ses commettans, contrairement à l’avis de la minorité, qui proposait de dire : « En vertu des décrets de la métropole. »

Mais à côté de l’aristocratie coloniale se trouvaient les blancs des classes inférieure et moyenne, qui, en adhérant avec ardeur aux doctrines révolutionnaires qu’elle avait fomentées, comptaient bien en déduire toutes les conséquences logiques. Blessées de la morgue des planteurs, ces deux classes saluaient surtout dans les idées nouvelles l’avènement de l’égalité civile et sociale. Entre l’oligarchie féodale que ceux-ci entrevoyaient dans leurs rêves d’indépendance et le partage des conquêtes déjà réalisées par le libéralisme métropolitain, elles ne devaient pas hésiter, et prirent fait et cause pour la mère-patrie. L’assemblée provinciale du nord, presque entièrement composée de gens de robe que la convention de Saint-Marc avait fini de s’aliéner par certains règlemens tendant à réduire leurs honoraires, donna le signal

  1. M. Lepelletier Saint-Remy a parfaitement caractérisé toute cette situation. (Saint-Domingue. Étude et solution nouvelle de la question haïtienne. — Paris, Arthus Bertrand, 1846.)