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fit un ensemble de cette anarchie, un ordre et une hiérarchie de cette confusion. Elle prit pour guides la raison, l’étude, l’exemple d’autrui, les lumières nouvelles, les besoins nouveaux, parce qu’en dehors de ces besoins et de ces idées on ne bâtit que sur le sable. Elle se trompa quelquefois ; son œuvre eut des côtés faibles : comment aurait-il pu en être autrement ? En accomplissant le travail admirable de la division des pouvoirs, elle ne régla pas toujours leurs rapports avec une pureté parfaite ; elle tint compte parfois plus encore de la raison absolue que de l’expérience. Ayant, par la force des choses, la vieille société à remanier et tout le pouvoir à refaire, elle voulut les constituer le plus possible suivant les règles du vrai et du bien purs : entraînement naturel, inévitable. S’attacher aux lacunes et aux fautes, c’est ne voir ni l’intention, ni le but, ni l’ensemble. En définitive, les assises du monument qu’elle a élevé ont tenu bon. Ce qu’elle a détruit ne s’est pas relevé, ce qu’elle a fondé dure encore. Les principes qu’elle a émis et appliqués pour l’industrie et pour le commerce, dans la division territoriale et dans l’organisation administrative et politique de la France, sont ceux mêmes de la société moderne, et en dehors d’eux rien ne pourrait s’établir. Est-ce donc là l’œuvre de la faiblesse et de la folie ?

Assurément on peut, on doit même perfectionner et compléter 89 ; c’est à cela que doit servir l’expérience contemporaine. Sans doute la tradition et l’autorité sont là, mais une tradition qui veut être modifiée, une autorité qui veut être fortifiée sous la salutaire influence de révolutions récentes et dans le sens de nécessités dont nous sommes juges. En émancipant le travail, la révolution a fait ce qu’elle avait à faire ; cela ne signifie pas qu’il n’y ait rien à instituer pour procurer aux travailleurs plus de sécurité, plus de bien-être, pour adoucir les plaies de la concurrence. Autant en dirons-nous de la décentralisation partielle, de la liberté de l’enseignement, de toutes les libertés ; on peut, à cet égard, modifier la tradition de 89 sans l’abandonner, quelquefois même il suffit presque de la reprendre, quand elle a été au point de vue libéral trop négligée, au point de vue centralisateur trop exagérée par l’empire.

En face des écrivains révolutionnaires et de l’école de l’absolutisme, il faut donc protester énergiquement contre la prétendue identité de 89 et de 93. La révolution de 89 représente la tradition renouvelée de la France, c’est-à-dire la souveraineté nationale, le gouvernement parlementaire avec la division et la pondération des pouvoirs, la propriété accessible à tous, le travail libre, la personne humaine émancipée, la religion protégée. La terreur, au contraire, n’est que la tradition d’un parti : en 93, une petite fraction du peuple usurpe et domine la souveraineté ; une minorité remuante, oppressive, souvent cruelle, fait la loi à l’immense majorité laborieuse et tranquille. La terreur établit