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jeter à distance sur leur ennemi pour l’emmaillotter, et le fit lancer sur Sarus. Celui-ci eut beau se débattre, le lacet fatal l’enveloppa et le fit trébucher. On le prit vivant, mais pour peu de temps, car la vengeance d’Ataülf était impatiente. Tel fut le premier acte de subordination du roi visigoth envers l’empereur dont il venait de se faire l’allié et le soldat.

Ce début renfermait des leçons dont Jovinus aurait dû profiter ; il n’en tint compte, et peu de temps après un dissentiment de la nature la plus grave éclata entre lui et son allié. Il ne s’agissait pas moins que d’élire un second empereur. Jovinus prétendait s’associer Sébastianus, son frère ; Ataülf, poussé sans doute par Attale, s’y opposait vivement : Jovinus passa outre, et Sébastianus fut proclamé. Ataülf se tut ; mais il offrit secrètement à l’empereur Honorius de lui envoyer les têtes des deux tyrans, s’il voulait se réconcilier : Honorius, comme on le pense bien, se répandit en promesses, en flatteries, en assurances d’oubli ; les sermens furent échangés de part et d’autre, et une nouvelle alliance conclue avec l’empire. Observateur scrupuleux de sa parole, Ataülf dépêcha d’abord en Italie la tête de Sébastianus dûment empaquetée ; puis il assiégea Valence, où Jovinus s’était réfugié, la prit d’assaut, et fit remettre l’empereur gaulois, à Narbonne, entre les mains du préfet du prétoire Dardanus. C’était le remettre au bourreau. Bientôt, en effet, les têtes des deux frères allèrent figurer, l’une près de l’autre, sur les piloris de Rome et de Carthage. Ataülf, assurément, avait acquitté sa dette avec conscience ; il réclama ce qu’on lui devait, c’est-à-dire un bon établissement pour son peuple, et, en attendant qu’il se fut régulièrement cantonné, des vivres tirés des magasins publics, sans quoi il serait obligé de piller.

On était en 413, la récolte de l’année précédente avait manqué, et la famine régnait dans ce malheureux pays de la Gaule, d’ailleurs si foulé, si pressuré par la guerre civile et la guerre étrangère. Ataülf demandait, suppliait, exigeait, et Dardanus, à qui l’empereur avait donné ses instructions, protestant toujours de sa bonne volonté, le promenait de délai en délai, et, quand il était à bout de raisons, il lui redemandait Placidie. Nul n’égalait le préfet Dardanus dans ces luttes de l’astuce contre la force. C’était un homme aimable, instruit, spirituel, pieux avec les évêques, incrédule et libertin avec les gens du monde, et réunissant en lui seul, dit un contemporain, les vices de tous les tyrans qui l’avaient précédé. Son système était de plier sous les obstacles, sans rompre ni se décourager jamais, et grace à ce système, qui le laissait toujours content, toujours affable et serein, il suivait invariablement, tantôt la ligne de son intérêt personnel, tantôt celle du gouvernement qui l’employait. Il avait servi plus que tout autre à brouiller Ataülf avec Jovinus par des avis détournés ou directs, par