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dans leurs mains deux plateaux remplis, l’un de pièces d’or, l’autre de joyaux et de pierres précieuses enlevés au pillage de Rome. Tels furent les cadeaux de noce d’une fille et sœur d’empereur romain, dans la première cité romaine fondée à l’occident des Alpes : les vieux colons de Narbo-Marcius durent tressaillir d’horreur au fond de leurs sépulcres. Les chrétiens, à qui il fallait une explication surnaturelle pour tout ce qui les étonnait en ce monde, feuilletèrent avec soin les prophéties, et ils trouvèrent dans le livre de Daniel qu’un jour viendrait « où le roi de l’Aquilon épouserait la fille du roi du Midi, et que de leur union il ne sortirait pas de postérité. » La prédiction (si c’en était une) s’accomplit à la lettre.

Iils étaient mariés, mais ils voulurent encore que leur mariage fût agréé par l’empereur Honorius. Ataülf, qui se flattait d’y parvenir à force de soumission, ne rencontra, pour prix de ses efforts, que morgue et que dureté. La naissance d’un fils, qu’ils nommèrent Théodose, leur donna quelque espoir de rapprochement ; c’était encore une illusion qui ne fut pas longue à se dissiper. Grossissant la colère d’Honorius de toutes ses rancunes jalouses, Constantius ne leur laissait ni paix ni trêve. Il finit par les chasser de Narbonne et leur enlever la flotte au moyen de laquelle ils se ravitaillaient sans pressurer la Gaule. Tant d’outrages irritèrent le frère d’Alaric, qui, recourant aux procédés de la politique visigothe, tira de ses bagages l’oripeau impérial, en revêtit Attale, et le proclama de nouveau Auguste et empereur ; puis, avec sa vaillante armée, il lui eut bientôt fait un empire. Les deux Aquitaines, la Novempopulanie et quelques parcelles de la Narbonnaise formèrent le domaine commun des Visigoths et d’Attale sous deux grandes métropoles, Toulouse et Bordeaux. Attale, reprenant son rôle avec un sérieux que ses alliés ne partageaient guère, se composa une cour, nomma des ministres, et mit en réquisition, à cet effet, de riches et notables Gaulois, qui n’osèrent refuser par crainte des barbares. C’est ainsi qu’un citoyen de Bordeaux, Paulinus, petit-fils du poète consul Ausone, devint à son insu, comme il le disait lui-même, comte des largesses d’un prince sans argent et ministre d’un empereur sans soldats. Cette vie toujours guerroyante contre un peuple qu’il eût préféré servir ne tarda pas à dégoûter Ataülf. Il résolut de passer en Espagne, où du moins il ne trouverait en face de lui que des barbares ; car, depuis l’année 408, les Vandales, les Suèves et une horde d’Alains s’étaient partagé ces belles provinces et en avaient effacé le nom romain : le roi goth voulait les restituer à l’empire, en s’y ménageant une place qu’il aurait bien légitimement gagnée. On ne peut guère douter que ces idées ne lui vinssent de Placidie, qui voyait avec douleur, dévastée et perdue pour les Romains, l’Espagne, patrie