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au pied de la lettre ce que lui dit un autre Français. Celui qui écoute tâche uniquement de deviner, en écoutant, quel motif a pu engager celui qui parle à tenir le langage qu’il tient, car il sait que son interlocuteur a une idée dont il est l’esclave et qu’il suffit de connaître pour deviner tout ce qu’il dira et pensera. La sincérité elle-même n’est qu’une sincérité détournée. Nous ne pouvons pas avoir une conviction sur un point sans que toutes nos paroles et nos actes ne soient uniquement l’art de professer sur tous les points ce qui exprime le mieux notre opinion sur celui-là. Mensonge volontaire ou involontaire, peu importe. Le mensonge a régné, et la gardienne de l’esprit public a fait son possible pour le propager. Je n’appuierai pas sur les scandales de propos délibéré qu’a donnés une partie de la presse, celle qui avait le plus de prétentions à jouer les rôles sublimes et à s’arroger la gloire de tous les sentimens généreux. Je ne passerai pas en revue les journaux qui, tous les matins, ne se sont adressés à eux-mêmes qu’une question : Comment trouver moyen de conspuer le pouvoir et de soulever les passions des masses ? — Cela est ignoble, et il n’y a rien de plus à en dire. Mais je viserai plus haut, et je demanderai combien il y a eu à Paris de journaux qui ont vraiment montré de la sincérité, si par ce mot on entend la bonne foi qui non-seulement n’avance aucun fait sans le regarder comme certain, mais qui s’impose encore comme un devoir de citer tous les faits d’après lesquels on peut conclure, sans excepter ceux qui pourraient favoriser une autre conclusion que la sienne. La critique littéraire, aussi bien que la presse politique, n’aurait guère lieu de tenir la tête haute devant une pareille interrogation. Leurs habitudes sont les mêmes. La critique dépouille les renseignemens qu’une œuvre lui apporte sur l’homme qui l’a écrite, puis elle conclut, de son mieux je le veux bien : elle se fait une idée de l’écrivain d’après son livre, une explication qui est pour elle le moyen de s’expliquer à la fois tout ce qu’elle a pu embrasser du regard dans l’écrit ; mais tout cela se passe derrière la coulisse, et, quand le juge paraît devant le public, il se borne à énoncer d’abord son jugement, pour ne citer ensuite que les passages de nature à le confirmer. Quant aux autres pièces du procès, il les tient dans l’ombre. Les lecteurs même n’aiment que cette manière de procéder. Peu nous importe qu’une appréciation nous apprenne tout ce qu’il est possible de distinguer dans un livre ou un fait. Nous tenons uniquement à ce qu’elle explique tout ce qu’elle nous montre, et à ce qu’elle ne nous montre rien qu’elle n’explique. Ce goût est général, et si les critiques ne l’ont pas tous partagé, j’en vois peu qui aient osé le braver.

Sachons-le bien cependant : faire de son mieux, juger de son mieux,