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je tiens à éviter des récriminations trop exclusives. Dieu me préserve d’imiter ces historiens qui croient excuser une nation en accusant de sa servitude ou de ses superstitions l’imposture de ses prêtres et l’égoïsme de ses seigneurs ! Le journalisme, comme le sacerdoce, n’est qu’une profession remplie par des hommes ; par elle-même, la profession ne saurait être coupable, parce qu’elle est une chose morte. Par les individus qui ont malversé dans cette position, par eux et en eux c’est la race entière qui a été coupable. Leurs fautes révèlent que chez les hommes du sol il y a eu absence de ce qui aurait été nécessaire pour les empêcher de discréditer cette profession ; elles indiquent que le pays les a tolérées, que devant elles il ne s’est point rencontré de prévoyances capables de s’effrayer de semblables procédés, qu’il n’a point surgi d’indignations et d’énergies pour en prévenir le retour. L’horizon s’élargit ici : ce n’est plus de la presse seule qu’il s’agit, c’est de la somme de résistance qui a été opposée au mal. En tant qu’abusant de la parole, la presse rentrait dans la catégorie des dangers inhérens à nos institutions : beaucoup de ses organes, bien entendu, devaient jouer le rôle du démon qui, dans les légendes gothiques, cherche à s’emparer de l’ame du chrétien ; seulement, à côté du mauvais génie, il pouvait s’en trouver un autre : s’y est-il trouvé ? Toutes les raisons réparties dans le pays avaient le droit d’exercer la police et le pouvoir judiciaire ; tâchons de voir ce qu’elles ont fait, ce qu’elles ont plutôt omis de faire.


II

Depuis les orgies du directoire jusqu’à nos jours, l’esprit public en France a traversé plusieurs maladies en présence desquelles il a été possible d’observer l’attitude de la partie éclairée du pays. La première de ces phases avec ses doubles tendances se résume assez bien dans deux noms qu’il peut paraître étrange d’accoupler, et dont l’un mérite peu d’être exhumé : dans ceux de Chateaubriand et de Pigault-Lebrun. La seconde pourrait être personnifiée par George Sand et Victor Hugo. La troisième enfin, dont nous ne sommes pas sortis, est l’ère des théories politico-socialistes, le règne de MM. Louis Blanc, Cabet, Proudhon et Considérant. Ces noms seuls dénotent assez de quel côté a successivement soufflé le mauvais vent : ils disent ce que la critique eût dû, à mon sens, s’appliquer à combattre, ce qu’elle n’a pas combattu.

Si infime que soit la valeur morale et intellectuelle de certains romanciers, leurs tristes écrits n’en ont pas moins une importance historique, tant on y voit clairement l’origine de notre état moral. C’est