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l’histoire et la science orientale doivent à cette époque, les remèdes opposés au mal ne furent guère que de vains palliatifs. On se borna à peu près à remettre en honneur de vieilles formes et de vieux usages ; on tenta de reconstruire la société avec des ombres, avec des admirations pour des ombres, avec des loyautés et des enthousiasmes moyen-âge que je comparerais volontiers à des reflets ingénieusement recueillis par des miroirs. En fait de religion et de moralité, on célébra les vitraux des cathédrales aux mystérieuses lueurs et le style de la Bible, plus poétique que celui d’Homère. En fait de science sociale et de sagesse pratique, on enseigna la pompe des tournois, les panaches chevaleresques et le charme des pignons gothiques. En tout cas, le certain, c’est que les funestes instincts du jour ne trouvèrent pas un contre-poids assez fort pour les empêcher de prévaloir. La grande affaire ne fut pas expédiée. Nous le savons maintenant, nous qui savons ce que cachait l’esprit des Pigault-Lebrun et des Ducange, car il n’y a pas à s’y méprendre, il cachait ce qui nous est arrivé intact la présomptueuse étourderie qui forcément ne voit partout qu’anomalies et monstruosités, parce qu’elle ne se donne pas la peine d’examiner, parce que dans les faits elle est impuissante à lire les lois, les nécessités, les agens qui les ont produits et qu’ils expriment. Mépriser l’homme, mépriser la manière dont les effets sortent des causes, cela signifie, j’imagine, que toutes ces réalités ne sont pas ce que l’on regarde comme le beau et le bien. Tout conspuer, c’est donc dire seulement que l’on s’idolâtre soi-même, soi et ses propres conceptions, à côté desquelles tout semble mesquin. Par exemple, le banquier heureux qu’avait en vue M. Ducange n’avait pas le genre d’intelligence auquel M. Ducange réservait le nom d’esprit ; donc il était un homme inepte, dont rien ne justifiait le succès. C’est bien là, comme je le disais, l’esprit qui a survécu, si pompeux que soit maintenant son costume ; c’est notre radicalisme, notre creux idéalisme qui ne sait concevoir, approuver, désapprouver les faits que d’après leurs formes, qui fait résider toute la valeur des choses dans leurs formes, qui a lui-même dans l’esprit certains prototypes, et pour qui juger et évaluer se réduit à concevoir n’importe quoi comme une forme qui est légitime si elle rentre dans ces types, illégitime si elle s’en écarte.

Cela est si vrai, que, pour devenir romantiques, nous n’avons pas eu besoin de changer en rien notre nature. L’enflure a succédé au badinage, et, tout en restant disciples de Pigault-Lebrun, nous nous sommes trouvés au plus fort du mouvement satanique, des révoltes titanesques et du fougueux blasphème. La poésie intime du jour était comme les adagio de cette fièvre ; les drames et les romans en furent les accès de délire. Plus tard, quand nos fils seront mieux sortis du